Chapitre 2

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Un homme singulier était assis à côté d'elle. Il était barbu, les yeux noirs comme deux petits gouffres et un nez aquilin. Accoudé à sa tablette, il écrivait des poèmes sur un vieux carnet tout corné.

Lola regarda par-dessus sont épaule, elle avait l'impression que son écriture s'envolait. Il n'écrivait plus des mots, ils les chantaient en gardant la bouche close. Il dessinait pour illustrer ses propos une femme aux courbes prononcées. Il pensait à elle chaque seconde depuis qu'il était monté dans ce bus. Il attendait le moindre signe de vie de sa part, qui le pousserait à faire demi-tour. Plus le bus dévorait les kilomètres, plus la tristesse qu'il ressentait lui tordait les tripes.

Elle l'avait plaqué la veille, son cœur n'arrêtait pas de gémir depuis. Il n'avait pas encore intégré que sur leur histoire, elle avait mis un point à l'encre noire. Un peu rêveur, il avait vécu des mois durant une magnifique idylle avec sa plume et son papier. Il lui écrivait un bouquin, lui qui ne savait pas parler. Jamais il ne lui avait dit je t'aime, ou même susurré des mots doux à la lueur de leur lampe de chevet. Elle l'aimait comme elle pouvait mais cette maudite passion pour l'écriture interférait dans leur couple.
Il était temps pour l'astronaute de se détacher de La Lune. C'était une belle expérience, mais la vie l'attendait sur Terre tandis que la Lune flotterait toujours dans l'espace sans aucun but précis à part tourner en rond.

Une petite larme traça un sillon sur la peau pâle de l'homme en mal d'amour. Le chemin parcourut ne fut pas long, elle vint rouler sur sa joue pour se confondre parmi les poils de barbe. Elle avait tant admiré ce trait chez lui, il ne s'était plus rasé pour qu'elle puisse l'assouvir de compliments encore une fois. Une transhumance s'était opérée dans le cœur de sa bien-aimée. L'Autre lui avait pris le trésor qu'il gardait jalousement depuis des années.

Lola posa une main sur son épaule sans réfléchir. Il ne réagit pas à son contact, mais c'est lorsqu'elle lui tendit un mouchoir qu'il s'en saisit. Il gémit, se dit qu'il resterait désormais frivole toute sa vie. Pourtant, il ne remercia pas la jeune fille. Il regarda par la vitre.

- Je peux ? murmura sa voisine en glissant ses doigts vers le carnet. Aucune réponse.

Elle attrapa l'âme de cet homme de papier et commença sa lecture.

Les larmes sont le carburant dont l'art raffole. Lola pénétrait dans un monde aux lumières inconnues. Tandis que les poèmes se déversaient, elle découvrait ce qu'était qu'être amoureux. Les lettres formaient des cris de désir, de passion enflammée, peignaient un paradis parfait. Un pan de la vie de cet homme avait été coloré d'une teinte que personne au monde n'avait encore jamais vu. Ce que ressentait ce poète s'écoulait même à travers les parapluies que tendaient ceux qui ne voulaient pas lire.

Elle reposa le carnet. Le poète s'était laissé allé dans les bras de Morphée, une perle s'était figée sur sa joue.

Les heures passèrent, le paysage défilait à toute vitesse et peu à peu se métamorphosait. La ville apparaissait tout à coup. Grenoble, ville grise, où la pauvreté s'étendait comme une toile d'araignée. L'art s'exprimait ici à travers les murs où la peinture dégoulinait couches par couches. Lola se redressa sur son siège, avec un dernier regard pour son voisin toujours assoupi, figé dans la même position. L'amour de sa vie était la Gorgone qui l'avait transformé en pierre pour le restant de sa vie.

Le bus s'arrêta à la gare routière, Lola s'extirpa comme une voleuse, pressée de s'envoler pour la capitale. Pour la ville de l'espoir. Elle n'eut pas de pensée pour ceux qu'elle avait laissé derrière, et ils étaient nombreux. Ses amis, sa famille en carton qui s'était montrée plus solide que sa famille de sang et son passé.

Elle acheta son billet. Le train partait dans une vingtaine de minutes. Plus vite elle serait à bord, plus vite elle dirait adieu à son existence miséricordieuse.

La recherche de la vieWhere stories live. Discover now