14 janvier. Brest

16 2 0
                                    

Glace et souffle le vent de l’hiver.


Comme hypnotisé et enivré par d’étranges sensations venant raccoiser de perpétuelles angoisses et me persuader de folie.
A jamais dans cette coquille humaine dont je m’illusionne pouvoir dessiner, et non choisir, les décorations extérieures et la couleur des nervures. Seul sur ce parking trempé et froid, la nuit sans étoile me renvoie d’un reflet plein d’espoir sa courbure poreuse et son silence murmurant dans les pas du vent et au creux de mon oreille ses charmants désirs et sa soif fiévreuse.

Or face à moi se dressent, s’empilent et se côtoient tous les plus poignants secrets et les plus belles histoires qui rythment la découverte quotidienne et l’enrichissement culturel auxquels notre âme, furetant et s’épuisant à la tâche, aspire. Quand en 1990, ma fille joufflue et heureuse franchissait l’enceinte de ce lieu, cette bibliothèque n’existait pas mais ce soir elle me bouleversait, à la manière d’un récif déchirant une vague écumante.

Et tout là-haut, derrière cette vitre, brille une lumière tremblante. Son allure est fragile mais sa timidité reflète quelque chose de bien attendrissant et à plisser les yeux autant que peut se faire, on distingue à la lueur de ce bien petit phare un drôle de manège.

Je gâterai ce que j’ai vu à vouloir tenter de l’exprimer mais derrière ces verres où s’agitaient géants et génies, aventuriers et amoureux, philosophes et patriotes, tout se transmettait, tout était dit et accompli. Tout était joué et pourtant tout vivait encore et respirait de complaisance.
Se devinaient le rire de tendres monstres, l’excitation d’enfants turbulents ou encore des combats à l’issue desquels des chevaliers orgueilleux d’hier se sont agenouillés et rachetés dans la prière. Un jeune homme à la veste usée et au feutre fatigué, versait des larmes sur ce qui avait été il y a bien longtemps, dans un silence mystérieux, un modeste testament. Un adolescent aux bas de soie et au brocard argent, s’énervait, pris de remords, sur de mauvais vers. Les pages tournaient comme les heures et ces vies fourmillantes.
Des couples de danseurs s’abordaient, s’articulaient puis s’accordaient. Des fantômes heureux tels des acrobates adroits et distraits. Un somnambule pleurant la chute d’une couronne d’or. Des femmes s’empoisonnant d’égard et des hommes se passionnant de hasard. De drôles d’inventions, de douces plaisanteries, de criards mécontents et d’incroyables parfums.
Derrière le portail fermé, nul ne semblait deviner ce qui se passait et chacun poursuivait son petit bout de chemin. Comme tout sot qui psyttacise ses acquis et ses écoutes, seule une inconnue s’accrochait aux barreaux comme un menteur à sa mauvaise foi alors que dans la rue, un vieil homme au regard vitreux cherchait en vain son chapeau gris.
La mer calme ne forge point les bons marins mais dans cette tempête sans fin, le spectre qui rôdait et frôlait l’épaule d’une main glaçante comme la mort me laisse amèrement une ode répugnante de cruauté sans états d’âme et sans séduction. L’ignorance glisse et caresse sous la paume rugueuse mais ronronnante de la torpeur paresseuse. Je suis malade. Malade de cœur. J’ai toujours langui de tout ce que j’ai pu m’interdire.

Une insolente pertinacité dans la danse de cette lumière qui scintillait encore, offrait à la scène un zèle d’insouciance, guidé et chanté au nom d’un vouloir continu plus puissant que l’amiteuse stupidité.

Embrumé sous l’éclat de cette veglione irréaliste, pris d’un élan de garçon gavache et peureux, c’est l’enfant que je suis qui me berçait et me rassurait d’une main douce et potelée.

La connaissance égaye l’âme mais mon âme se distrait maladivement. Ma vie est une œuvre littéraire que jamais mes acquis, aussi bien ordonnés soient-ils, n’égaleront en rebondissements et en sensations. Une amie fidèle mais insouciante, m’emportant dans un engrenage que certains surnomment « l’audace ».
L’audace de l’humilité. Celle du tout-petit. S’émerveillant de rien à travers ses grands yeux, ne se limitant à rien à travers ses rêves et s’amusant de rien à travers son âme.

Se dissipent le naufrage de mes idées venu troubler mon sommeil et mes marches. Cette nuit se joue de nous, chers amis. Je me persuade trouver là l’innocence et l’impudence. Toutes ces étrangetés de merveilles et de folies se peignent sur l’éclat de l’aube et de la liberté tels de vieux tableaux se réveillant d’une trop longue vie.

Après tout, je n’étais autrefois qu’un vieux marin qui chantait à tue-tête, d’une malice d’avoir trop bu. Un marin qui rêvait de courses et de victoires. Un marin sans sa femme. Un marin n’ayant, de toute sa vie, osé dire à quiconque qu’il n’avait jamais pu apprendre à lire. La lumière brillait encore, toujours plus attirante. Toujours plus séduisante derrière sa vitre de rempart. Mon sourire se ternit mais j’aime à me persuader que tous savoirs est bien pauvre de charme aux côtés d’une imagination qui gouverne le monde.


Griffait et mordait le froid de la mer.

Rêve de marinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant