c'était ça -

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_ Ta soirée se passe mieux que la dernière fois ? ai-je osé en me souvenant de ce qu'elle m'avait lancé furtivement un mois plus tôt : « t'auras été le seul point positif de ma soirée ».
_ Ouais, 'fin ça pourrait être mieux. Mais bon, j'me suis pas fait larguer ce soir, au moins.
_ Oh ouais, j'ai su. Combien de temps ensemble ?
_ Trois mois, soufflait-elle en posant les yeux tristement sur le parking en bas de l'appartement, comme si elle semblait espérer que son ex s'y trouva. T'es en couple, Ambroise ?
_ Non, pas vraiment ... Mais c'est aussi bien.
_ T'as raison. C'est mauvais pour la santé de tomber amoureux.
_ Autant que ce que tu tiens dans la main ?

Elle tourna la tête vers moi avec un léger sourire au coin des lèvres, amusée par ma réflexion.

_ Je ne t'ai rien demandé, sale gosse.

Ceci ne l'empêcha pas d'écraser sa cigarette dans un vieux cendrier posé sur le rebord de la fenêtre, comme si ça l'avait fait un peu réfléchir.

_ T'es mélancolique de nature ou t'es juste triste ce soir ?
_ Je dirais que je suis née pour être mélancolique, je crois que je l'ai toujours été.

Elle se retourna à nouveau vers moi, me fixa quelques secondes puis vint s'assoir sur le rebord de la baignoire, plus proche de moi.

_ On sort ? ai-je proposé.
_ Tu veux aller où ?
_ J'sais pas ... J'en ai marre de cette soirée.
_ Pareil.

Alors dans un élan d'inspiration, elle se leva d'un bond, m'attrapa la main et me tira à travers le salon et le couloir jusqu'à la porte d'entrée. Ses doigts étaient si froids, je m'en rappelle encore parfaitement aujourd'hui. J'avais réellement l'impression de tenir la main d'une statue. J'ai refermé la porte d'entrée derrière moi en pensant aux voisins et ai profité du calme que j'attendais depuis longtemps. Talia descendit les trois marches du hall très rapidement et lâcha ma main — elle me manquait déjà dès que ses doigts ne touchaient plus les miens — pour ouvrir la porte principale de l'immeuble.

L'air frais de la nuit me donnait des frissons sur les bras et emplissait mes poumons entiers dès la première respiration. Talia enfourna ses mains dans la large poche kangourou de son sweat et se tourna vers moi, sans doute en attente d'une proposition.

_ Bon, qu'est-ce qu'on fait?
_ J'ai faim, on peut peut-être aller acheter quelque chose à manger ?
_ Il est ... trois heures vingt-trois. Tout est fermé, génie, se moquait-elle après avoir jeté un oeil à son téléphone dans la même poche.
_ Ouais ... Alors ...
_ On n'a qu'à passer chez moi, sinon. Je crois qu'il me reste des trucs.
_ Comme tu veux.
_ Suis-moi.

Ses éternelles Docs noires résonnaient toujours, devant mes pas plus légers et silencieux. Il n'y avait toujours pas d'étoiles dans le ciel ce soir-là, mais j'en suivais une mélancolique.

Elle vivait au troisième étage d'un appartement tapi dans le noir d'une ruelle, à une centaine de mètres de chez Max. La porte d'entrée grinçait, le parquet aussi et les pièces étaient très petites. Pour ne rien arranger, il y en avait partout : ses étagères débordaient et les portes de placards ne fermaient plus.

_ Tu vis toute seule ? ai-je chuchoté en entrant dans la pièce principale, pour être sûr.
_ Ouais, mes parents vivent loin d'ici.

Elle disparut dans la pièce d'à côté qui se trouvait être une cuisine. Très épurée, étroite mais scintillante. Elle devait être maniaque. Talia triffouillait dans le placard penché au dessus de son évier sur la pointe des pieds, et en sortit un paquet de petit-beurre à peine entammé.
_ Tu aimes ça ? J'dois aller faire les courses demain ...
_ Oui, oui, ne t'en fais pas, c'est très bien.
_ Tu veux qu'on sorte ou on mange ici ?
_ Je ne voudrais pas briser l'intimité de Mademoiselle.
_ Alors on sort.

Je la suivais à nouveau comme si elle dirrigeait mon destin, et nous nous retrouvions à nouveau au bas de la rue.

_ Suis-moi, ai-je proposé avec un signe de la main. J'connais un parc qui reste ouvert la nuit.

Nous avons mis moins de cinq minutes pour y arriver, dans le silence le plus plat mais pas désagréable pour autant. Nous nous sommes installés sur une table de pique-nique sèche, les pieds sur le banc et avons admiré la nature sombre. Les lampadaires se faisaient rares et ne nous surveillaient que trop peu.

les sapins et les lampadairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant