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— Oui, Corentin, je fais attention à ton bureau... Non, je n'irai pas aider madame Zora... même si elle essaie de me soudoyer, promis...

Cela fait plus d'un quart d'heure que mon cousin me bassine avec ses indications. Il a fallu que je reste, le portable collé à l'oreille tout le long du trajet, de chez mes parents à l'agence pour qu'il s'assure que tout est à sa place.

Comme si quelqu'un allait cambrioler ce taudis...

C'est un hangar. Une grande salle froide avec trois bureaux au centre et un coin cuisine pour prendre sa pause. Corentin a juste fait monter une vitrine pour que ça ait l'air plus commercial. Quand je l'ai appelé pour lui dire que je rentrais, il m'a proposé de reprendre Separagence. J'ai d'abord hésité puis, sans autre choix s'offrant à moi, je l'ai rappelé. Et me voilà !

Lassée d'écouter les instructions du commandant en chef Corentin Connard, je pose le téléphone sur le premier pupitre et enclenche le haut parleur.

— Il va falloir te trouver des employés, les dossiers verts sont...

Je lève les yeux au ciel et l'interromps :

— Pour les ruptures courtoises et bienveillantes, tandis que les rouges sont sans appel, cruelles et dures à vivre. J'ai compris, Corentin, continué-je.

Son rire s'envole à travers l'appareil.

— Je suis content que ce soit toi qui reprenne, Agathe. Même si je ne trouve plus de sens dans ce boulot, je sais que tu réussiras à en faire quelque chose de mieux.

Si tu le dis...

— Au fait, comment ça se fait que tu passes ton temps à me donner des ordres au lieu de te la couler douce au bord de la piscine ? Tu n'es pas censé être en voyage de noces avec la belle Abigaelle ?

— Tu m'enlèves les mots de la bouche, Agathe, résonne la voix d'Abi dans le combiné. Allez hop, monsieur Connard ! Je vous rappelle que vous ne tenez plus Separagence. Laisse la place aux jeunes.

En vérité, Coco et moi n'avons que quelques mois d'écart et je suis la plus âgée. Mais entendre Abigaelle lui lancer des piques me ravit.

Ces deux-là se sont mariés il y a trois semaines et respirent la joie de vivre.

— J'arrive, madame Connard. Je l'assomme et je reviens, chuchote Corentin, prends soin de toi. A bientôt, Gaga.

Ce surnom me hérisse les poils.

— A bientôt, connard.

Avant de pouvoir entendre la fin de ma phrase, il raccroche. Dommage, j'aurais bien aimé le faire enrager. Ça m'aurait évité de me retrouver seule dans ce grand local froid. Seule avec moi-même...

Me voilà rentrée d'Espagne pour de bon. Et déjà les souvenirs refont surface... comme si je n'étais jamais partie. Comme si je ne m'étais pas enfuie. Comme si l'année de débauche que j'avais passée ne m'avait rien apporté. A part des cernes, une peau blafarde et un corps laissé à l'abandon. Ça doit être héréditaire. J'entends encore Coco me dire qu'il était pareil avant sa rencontre avec Abigaelle. Sauf que le drame qu'il a vécu n'a rien à voir avec le mien.

Décidée à sortir de mes pensées, je fais le tour du propriétaire. Sur le bureau de gauche s'est amassé un tas de dossiers verts. Si j'ai bien compris, les clients ont deux choix : soit ils demandent de l'aide pour mettre un terme à leur relation amoureuse en douceur, soit ils appellent pour rompre avec pertes et fracas. Dans ce cas, je dois faire intervenir un agent pour mettre en place un scénario qui poussera le compagnon du client dans ses retranchements. Les séparations sans ménagement sont représentées par les dossiers rouges.

Sur ceux qui traînent, je lis les noms de : Constance, Marta Zora, Tom, celui de mon grand-père, Pépé Connard, et plus loin, sur une pochette rouge : Benjamin Poireaux.

Même si c'est une idée de génie, j'ai toujours du mal à croire que certaines personnes paient pour larguer leur conjoint. Au final, j'aurais peut être dû contacter Corentin quand j'ai abandonné Jordan sur le pas de porte de notre maison. Cela aurait été plus facile.

Ou pire.

J'ai à peine le temps de me retourner qu'une grande masse au sourire renversant débarque dans les bureaux.

Nom d'une montagne ! Tobias Démène !

— Je n'y crois pas, tu es là ? Tu es vraiment là ? crie mon frère en courant pour me prendre dans ses bras.

— Je suis là, depuis peu de temps.

Une larme solitaire roule sur ma joue, je la retire d'un geste vif pour ne pas qu'il puisse la voir. Le visage collé contre son torse bondé, je respire de nouveau. La chaleur qu'il m'offre est sans appel : il m'a affreusement manqué.

— Tu es splendide, un peu trop maigre, mais belle comme un coeur petite sœur.

Quand il dit ça, il s'écarte en me tenant par les épaules. Lui n'a pas changé d'un poil. Toujours baraqué, les yeux verts, rasé de près et bien peigné. Mon frère est un charmeur qui n'a pas idée de son potentiel de séduction. Entre ses sourires en biais et son épaisse chevelure brune, il a tout du beau gosse dont rêvent les filles.

— Quand Corentin m'a appelée, j'ai cru que c'était encore une de ses blagues à deux francs.

— Ce n'en était pas une, je rentre tout juste d'Espagne et je ne compte pas repartir de sitôt, lancé-je, un large sourire sur les lèvres.

Rien que de l'avoir près de moi me met du baume au coeur, à tel point que, le temps de notre conversation, j'oublie les raisons qui m'ont fait rester loin de cette vie pendant plus d'un an.

— Maman et papa sont au courant ?

J'acquiesce.

— Je squatte leur canapé depuis hier soir. Tu aurais dû voir leur tête quand ils m'ont ouvert. J'ai eu beau appeler maman quelques jours avant, elle ne s'y était pas préparée pour autant.

— Tu nous a trop manqué pour qu'on s'y prépare, Agathe. Je suis aux anges, bon sang ! Et tu sais, mon coloc s'est tiré le mois dernier alors si tu veux sa chambre, tu es la bienvenue.

C'est vrai que le canapé des parents est un peu juste. Dès que je me retourne, je manque de tomber. Vivre avec mon frère pourrait nous aider à rattraper l'année que nous avons perdue.

— Ce serait super, Tobias !

Nous nous sommes toujours très bien entendus, je ne vois pas pourquoi ça changerait ?

Madame Connasse ⚢ (Sous contrat d'édition) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant