V.

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Ce poème est très particulier, puisqu'il est le premier du recueil à ne pas être autobiographique. J'ai voulu l'écrire à la suite d'une rencontre avec un mendiant dans la rue, qui m'a marqué. Ce que j'écris ici est une tentative  de redonner l'impression de désespoir et d'attente qu'il m'avait donné. Ce poème est plus ou moins dédié aux femmes et aux hommes qui se sont retrouvés dans la rue. Je n'y connais rien, peut-être, mais je l'ai écrit naïvement :



Oh ! Combien de pleurs vains, de cris inutiles, d'écrits infertiles qui ont creusé ma peine ? Combien ! Je regrette sa présence, et repasse en mémoire chaque instant où près de moi son souffle chantait, chaque seconde où son regard m'attendait, chaque minute que j'ai gâchée à la blesser, chaque silence que j'aurais pu combler de mots, elle n'attendait que ça, des mots, des stupides mots gentils, et pourtant je m'étais tu, têtu. Tué, à force d'endurer le malheur des autres le mien est venu, fini, à force de répéter que tout va recommencer. J'ai rêvé, encore cette nuit, sur la plage de mon enfance les vagues s'échouaient. Et ce chien, du sang plein la gueule qui me poursuivait lentement. Moi je ne courais pas. Ce chien affreusement cruel, rouge, rouge, rouge de sang, de cruauté animale, de peur, de crainte. Rouge violent, rouge écarlate qui m'effraie. Et je marche lentement, il suit mon rythme. Il n'est jamais assez près pour me rattraper tout à fait, pas assez loin pour que je puisse l'oublier. Et mes gémissements plaintifs. Et les cris au loin, loin, loin, étouffés par la brise, la brume. Mille souvenirs passant en boucle, mille, mille. Le temps qui détruit, le temps qui guette tout. Condamné dès la première heure à voir l'œuvre de nos vies s'effondrer dans un moment. La vie une attente, un fardeau. Oh ! bien naïf et chanceux celui qui la voit comme une chance. Elle n'est qu'un fardeau que l'amour alourdit, que la douleur étreint. Chaque jour, tout éphémère s'efface. Étourdi, dans le bal des fous je suis perdu, seul, perdu. A mille on sera toujours autant seuls. Rien n'y fait, partout je vois la mort. Dans l'emploi du temps encadré, le cadran de la mort sonne le glas de ces années de collège, de lycée, d'études puis de vide. Oh ! Dieu, si Tu existes, et je le crois, prouve le. Par pitié ! Ramène-moi en mes jeunes heures. L'odeur de l'essence sur nos vestes en cuirs, les cigarettes mortelles qu'on savoure quand même, la neige de quand on était gamins, les amis qui s'en vont ne s'en iront plus, maman qui meurt ne mourra plus, le soleil qui se couche ne fera que se lever. Dieu, donne-moi l'éternité. Donne-moi son sourire. Mais déjà le regard indifférent des passants me ramène à ma misère. Oh que je suis pauvre ! Je suis un pauvre du cœur, un pauvre des sous. Fou, voilà, le froid revient, me serre, m'évince. Oh ! Je voudrais tuer. Tous ces êtres fragiles, mélancoliques, qui n'ont pris que la beauté de la tristesse pour écrire des poèmes lyriques ! Ils ne connaissent pas la douleur. Celle qui ne fait pas pleurer, non celle qui tue simplement. On se laisse vivre, et après la révolte, l'oubli. Comme toujours. Les plus grandes révolutions se finissent dans l'agonie, dans le silence. Et jamais, jamais un homme ne viendra plus me voir sans que je le déteste, c'est fini pour moi. La rue m'a vidé, la vie m'a vidé. Il ne me reste plus qu'à finir seul et mort, inanimé, dans cette ruelle maudite où Dieu m'a amené pour finir mes jours. Sans domicile fixe. Ils appelleront ça comme ils veulent, je ne demeure rien de plus, rien de moins qu'un clochard. Un clochard seul, soûl, fini. Dire que j'étais jeune et drôle. Et là. Maman me manque, papa me manque, la vie me manque. Exilé dans ma souffrance, je mendie des pièces à des jeunes qui s'en foutent bien que j'ai à manger ce soir. J'ai envie de les voler, de vider les sacs à main de ces femmes superficielles. Le sac de l'écolier, vide. Le porte-documents de l'homme d'affaires, vide. Les cœurs des passants vides. Leur prendre le bonheur qui m'est interdit. Arracher leurs poumons pour me prendre un peu d'air dans ma cave de solitude où j'étouffe. Voler les yeux aux enfants pour revoir la beauté des choses, la simplicité égarée. Saisir leurs rires glissants et les foutre dans mes yeux pour remplir mon regard vide, vide le sac de l'écolier. Vide le porte-documents de l'homme d'affaire. Vide.

RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant