Prologue

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« La consolation de ce monde c'est qu'il n'y a pas de souffrances continues. Une douleur disparaît et une joie renaît. Toutes s'équilibrent. Ce monde est compensé. » Albert Camus

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Il faisait nuit maintenant. La lune projetait faiblement ses rayons sur la mer des Caraïbes. Et, seul le chant nocturne des grenouilles, régulièrement recouvert par le bruit des vagues venant s'échouer sur la plage un peu plus loin, berçait doucement la quiétude de l'instant.

Sur une terrasse bordée de luxuriants bougainvilliers fuchsia et d'hibiscus rouge et orangé, une jeune femme était confortablement allongée sur une chaise longue. Un plaid recouvrait ses jambes minces. Elle était installée face à la mer.

Soudain, la brise, légère, emporta vers elle la douce fragrance des lauriers rose et blanc, qui parfuma agréablement l'air iodé. La jeune femme huma avec délice ce délicat effluve, qui faisait désormais partie intégrante de ses soirées.

Elle avait l'impression que ses sens étaient exacerbés. Les odeurs subtiles ; les couleurs tendres et apaisantes ; les bruits doux et lénifiants de la nuit ; le vent léger, bruissant doucement dans les arbres et caressant sa peau...

Tout prenait une nouvelle dimension.

Un léger soupir s'échappa d'entre ses lèvres. Et même si, elle se sentait fatiguée, si fatiguée... cette tranquillité, ce calme, lui procurait une rassurante sensation de sérénité.

Debout en retrait dans le halo de lumière provenant de l'intérieur de la maison, un homme observait la jeune femme. Malgré le vague sourire qui flottait sur son beau visage viril, il était tout de même difficile de connaître vraiment le fond de sa pensée.

De là où il se tenait, l'homme pouvait voir l'extrême minceur de la jeune femme. Il avait l'impression que ses immenses yeux marron en amandes étaient perdus dans deux trous béants. Elle avait le visage exsangue. Malgré cela, il la trouvait très belle. Pour lui, elle possédait une beauté éthérée, presque mélancolique...

La jeune femme reposa sur ses genoux, l'appareil photo jetable qu'elle avait dans la main. Ce soir là encore, comme elle l'avait fait des centaines de fois déjà dans sa vie, elle avait contemplé le magnifique spectacle du coucher de soleil.

Le résultat sera parfait, pensa-t-elle. L'appareil jetable n'étant pas de très bonne qualité, les photos seraient donc légèrement floues, une fois retravaillées, elles auraient un côté onirique.

Elle eut un sourire satisfait qui devint peu à peu nostalgique.

Ces derniers jours, son esprit revenait de plus en plus souvent sur son jeune frère. Elle revivait inlassablement des épisodes de leur enfance. Elle avait été si fière de lui ! Il avait trois ans de moins qu'elle, mais il était si intelligent, si vif d'esprit qu'elle avait toujours été en admiration devant lui. À l'école, il se faisait si facilement des amis, alors qu'elle, elle se montrait réservée et timide...

Le sourire de la jeune femme s'accentua.

Ils avaient adoré explorer la vieille case créole, se souvint-elle. C'était lui, le téméraire, qui avait décidé un jour, il y a si longtemps maintenant, d'aller explorer la vieille maison. À cette époque, il ne devait guère avoir un plus de sept ans. Et bien que sachant que cela n'était pas très raisonnable, elle l'avait pourtant suivi.

La maison de style créole avait été construite à la fin du XIXe siècle. Elle était très en retrait de la plage, perdue parmi, entre autres, des flamboyants, des arbres du voyageur, des cocotiers et des bougainvilliers. La bâtisse avait des galeries qui couraient le long de chacun de ses deux niveaux. Construite entièrement en bois et avec une toiture légèrement en pente recouverte de tuiles rouges, elle avait dû être magnifique en son temps.

Abandonnée depuis des années, sa peinture écaillée, qui un jour avait dû être d'un blanc éclatant, était maintenant couverte par endroit, de vert-de-gris. Les garde-corps en fer forgé magnifiquement ouvragés étaient désormais rouillés. De plus, d'épaisses toiles d'araignée sous le porche se balançant au gré du vent accentuaient son air lugubre. Et, c'est bien ce côté pour le moins inquiétant, qui avait attiré son intrépide petit frère.

Elle avait bien essayé de l'en dissuader, mais un jour, il s'était dirigé d'un pas sûr et décidé vers la vieille case. Et, elle avait bien été obligée de le suivre...

En faisant le tour des portes-fenêtres qui donnaient sur la galerie qui entourait le rez-de-chaussée, ils en avaient trouvé une, dont le verrou était cassé. Ils avaient donc pénétré dans la maison, curieux, apeurés et le cœur battant follement... Débouchant dans une immense pièce déserte, qui devait être la salle à manger, ils avaient ensuite exploré les pièces du premier niveau... Ayant pris confiance, ils avaient grippé les escaliers. Une fois à l'étage, ils avaient découvert quatre chambres et une grande salle de bain.

Tout le sol de la maison, sauf dans la cuisine et les salles d'eau, était recouvert d'un superbe parquet en bois de Mahogany deux tons. La « case » était très vaste et comportait de nombreuses fenêtres et portes-fenêtres à persiennes en bois qui laissaient faiblement filtrer à l'intérieur, les rayons du soleil. Et, seuls de vieux sacs plastiques, de vieux journaux et quelques papiers usagés et froissés jonchaient le sol...

Et, elle avait fini par convaincre son aventureux petit frère de rentrer à la maison.

Ils n'avaient pas parlé de leur découverte à leurs amis ni à qui que ce soit, d'ailleurs. Pendant un temps, cela avait été leur secret. Cependant, à partir de ce jour, ils étaient très souvent revenus jouer dans la vieille case créole, s'imaginant être des explorateurs, des archéologues ou des pirates à la recherche d'un trésor... Ou, quelques fois, ils avaient poursuivi les anolis, ces petits lézards verts si fréquents dans la Caraïbe. Parfois, ils étaient même parvenus à en capturer à l'aide de nervures de feuille de cocotier, avant de finalement les relâcher...

Le sourire de la jeune femme s'élargit en repensant à leurs jeux d'enfant d'alors. Ils avaient été si heureux et insouciants à cette époque...

Et soudain, de nouveaux souvenirs émergèrent, aussi vivaces que s'ils s'étaient produits la veille.

Entre le jour et la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant