Entre le jour et la nuit

Chapitre 10

Le mariage avait été célébré à la mairie de Sainte-Anne dans l'après-midi du samedi.

Les parents de Jade aidés de Karine, témoin de la mariée, avaient pris en charge et organisé la noce. Et tous les invités, qui étaient en nombre plus que raisonnable comme l'avait souhaité Jade, avaient été accueillis dans la maison des Bophore pour le vin d'honneur, qui fut suivi d'une fête. Presque tous ceux qui avaient été conviés étaient des membres de la famille et les proches de Jade, puisque Mark, lui, n'avait invité qu'une petite poignée de ses amis îliens. Chez les Bosphore, ce soir-là, en tout et pour tout, il devait y avoir une cinquantaine de personnes.

Owen le frère cadet de Mark fut le seul membre de la famille Thornton qui avait daigné faire le déplacement depuis Washington. Il fut d'ailleurs le témoin du marié.

Jade constatait, avec une certaine dérision noyée dans une profonde amertume, que ses futures relations avec sa belle-famille ne se présentaient pas sous de bons augures. Mark avait bien évidemment tenté de justifier l'attitude de sa propre famille, en prétextant les meilleures excuses qui soient. Cependant, chez les Bophore, personne ne fut dupe...

La fête battait son plein depuis quelques heures déjà, et les rires et la bonne humeur régnaient. Le buffet était particulièrement apprécié avec, entre autres, les acras, le boudin antillais, les gombos en sauce-chien, les ailerons de poulets... Et les amateurs attendaient avec impatience le Pâté-en-Pot -- que Marie réussissait particulièrement bien -- suivi du chocolat chaud servi avec le pain au beurre. Des airs de mazurka, de biguine, et également du ragga, mais surtout du zouk, en un mot, la musique antillaise rythmait la soirée...

Cela faisait un moment déjà que tout en écoutant distraitement son ami d'enfance, Mark observait Jade.

Comme à l'accoutumée, constata-t-il, sa femme semblait détendue avec tout un chacun, mais si d'aventure, il essayait de se rapprocher, aussitôt elle devenait aussi réfrigérante qu'un glaçon. D'ailleurs, elle l'avait soigneusement évité une bonne partie de la soirée, avant de finalement se réfugier sur la terrasse avec sa mère.

Elle était magnifique dans sa robe Versace couleur crème. Lorsqu'il la lui avait offerte, il avait craint qu'elle ne la porte pas... juste dans le but de l'irriter. Ce qui aurait vraiment été dommage, car la robe mettait en valeur ses formes sensuelles et ses jambes interminables, sans pour autant, être trop sexy.

Pour Mark, Jade était incontestablement beaucoup plus séduisante à vingt-cinq ans qu'à vingt ans. Bien sûr, son regard avait perdu cette étincelle qui l'avait tant attiré, autrefois. De plus, à sa grande honte, on pouvait par moment y percevoir une tristesse presque mélancolique...

Était-ce lui, la cause de cette tristesse ? se demandait de plus en plus souvent Mark. Était-elle malheureuse de quitter sa famille, ses amis, son travail, pour s'exiler dans un pays qu'elle ne connaissait même pas ? Lui en demandait-il trop ? Était-elle désespérée de quitter son amant ?...

Repensant à Francis, il ressentit presque à vif la morsure de la jalousie. Cependant, fermement, il repoussa ce sentiment. Cet homme avait peut-être été son amant, mais il ne l'était plus, se rassura-t-il. Jade avait changé. Si autrefois, elle avait pu le tromper, aujourd'hui, elle n'entretiendrait pas une relation adultérine. De cela, il était presque certain.

Et, de toute façon, il ferait en sorte qu'elle l'oublie, lui et tous les autres, s'adjura-t-il. Par le passé, il avait su la conquérir, et cette fois encore, il y parviendrait.

Pourtant, depuis des mois, il n'avait pas fait un seul pas dans la bonne direction, susurra insidieusement une petite voix en lui.

Depuis qu'ils s'étaient retrouvés, elle était d'une froideur et d'une politesse presque insultante avec lui. Il l'avait invitée au restaurant plusieurs fois, sous prétexte de parler de leur future vie à Washington, pensant recouvrer un peu de leur complicité d'il y a cinq ans. Mais, elle restait toujours invariablement lisse et impassible, et ne parlait que de Tom et de leur prochain départ. Sauf bien sûr, ce fameux soir avec son Francis.