Bataille

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La clameur de la bataille se fait sentir. Le lourd tintement des épées et des boucliers résonnent, les cris des guerriers s'élèvent, le chant des morts pèse. Les deux camps connaissent la dure réalité du combat : tuer ou être tué. Personne ne sait pourquoi il se bat, mais les ordres sont les ordres. Rien à penser lorsqu'on se bat, la cervelle n'est là que pour finir au sol.

Chacun d'entre eux a une famille, une histoire, des aspirations ; pour autant ils s'affrontent, car des personnes influentes pensent qu'ils peuvent sacrifier leur population pour assouvir leur soif de vengeance après une dispute. Le pire ? Ils le peuvent.

Et je fais partie de ces gens, à qui l'on vole l'espoir de l'avenir pour les placer au front face à un ennemi qui n'a pas plus envie que moi d'être là. Je ne suis pas un brave, qu'un simple père de famille que l'on désigne comme chair à canon. La force qui me maintient en vie jusqu'à présent est l'amour que je porte à ma famille, insondable source d'une force qui d'ordinaire me ferait cruellement défaut.

Alors j'abats des hommes, errant sans but dans un enfer d'acier et de sang. Je sens leurs vies s'effacer devant la mort, et je n'ai pas le temps de réfléchir à mes actes : la fin s'approche. Un homme de ma taille me charge, pour m'enfoncer son épée dans le crâne d'un coup d'estoc bien précis. Je le sens. Les réflexes prennent le dessus, je ne suis qu'une bête désormais. Tuer ou être tué. Je pare son coup, le saisit à la gorge, il lâche son arme. Je sens la panique dans son regard. Nous savons comment cela se finira pour lui. Il abandonne sa résolution et accepte le destin inévitable de tout homme vaincu. Je transperce son crâne avec mon épée d'un geste net, sans regret aucun, avant de répéter cette triste routine meurtrière.

Leur armée a été déroutée. Ils ont fui en laissant le soin à leurs morts de se rendre hommage par eux-mêmes. Nous prévalons aujourd'hui, mais qu'en est-il de demain ? Cette routine est épuisante, d'autant que nous sommes seuls, malgré l'abondance d'hommes à sacrifier sur l'hôtel d'une gloire plus grande que nous.
C'est la fin, pour l'instant.

L'odeur est d'autant plus nauséabonde que les jours s'accumulent, et les cadavres avec eux. Cette senteur si enivrante durant la bataille est aussi la dure réalisation de la cruauté dont nous faisons preuve lors de ces batailles. Elle en est la conséquence, comme si ceux qui tombaient continuaient à nous hanter par la putréfaction de leur chair.

Le camp improvisé de notre nation, Wolfsburg, est d'un sommaire extrême. Nous vivons entassés dans des tentes, comme du bétail attendant son tour à l'abattoir. Comment garder le moral avec cela? Ma famille me manque, surtout.  J'espère pouvoir rentrer bientôt, la saison des récoltes est proche. La plupart des soldats ne sont pas des professionnels, ils sont tout comme moi réquisitionnés pour se battre. J'ai simplement la chance d'avoir un certain talent pour le meurtre.
Cette pensée me fait sourire : dans aucune autre circonstance serait-il acceptable de penser ou d'effleurer cette idée. C'est que la guerre change les hommes de bien plus de façons que nous puissions l'imaginer.

Je tourne en rond ici. Je me sens enfermé, dans ce camp. Je ne suis qu'un simple fermier de la campagne Wolfsbourgeoise, pas un tacticien ou un soldat, qui s'affairent autour des tentes. Ils prévoient les batailles à venir, mais la populace gronde : personne ne veut plus de cette guerre futile ; mis à part les dirigeants et les fabricants d'armes, trop affairés à amasser des richesses pour se préoccuper du sort de ceux qu'on envoie au massacre continuellement.

L'allée des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant