Siège

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Le camp vibre et l'ardeur monte. Nous avons reçu les nouvelles : la victoire est acquise ! Enfin, ici seulement. La plupart de ceux qui se réjouissent sont des professionnels, heureux d'avoir leur pain garanti. Je n'en fais pas partie. Ils ne voient pas la fatalité inéluctable qui les attend. Le combat continue toujours ; l'argent ne guérit pas la mort.

Nouveaux ordres : le camp se meut, en direction d'une forteresse de Preinz, nos ennemis ancestraux. La légende raconte que lorsque le monde fut créé, les dieux s'étaient divisés lors de la création de nos illustres nations, engendrant au passage un ressentiment inné dans le cœur des premiers citoyens de ces îles. De bien belles histoires pour une bien triste réalité...

Nous avons quelques lieues à parcourir avant d'atteindre le lieux du siège, une forteresse massive, prospère et garante de la sécurité de tous. C'est à nous de mettre à l'épreuve les promesses d'architectes probablement déjà enterrés. L'appréhension grandit en moi, ne sachant si je pourrais survivre à cette nouvelle manœuvre militaire, ayant pour but de capturer les derniers fuyards de notre conquête militaire. Le siège devrait se dérouler calmement, et si les pourparlers sont efficaces, ils pourront être capturés d'ici ce soir. La peur laisse place à une rage de vaincre, la morale perdant son sens dans cette situation. Regretterai-je ce que j'ai commis? L'avenir seul nous le dira. Pour le moment, place à la guerre.

Nous avons encerclé l'immense bâtiment. Notre emprise se resserre encore et toujours sur ces pauvres gens. Ils n'acceptent pas nos conditions : l'usure commence maintenant. Ils promettent de nous dérouter. Ils n'ont pas la moindre chance selon moi, mais qu'en sais-je ? Comment peuvent-ils garder l'espoir intact au milieu de telles ténèbres ? Les questions se bousculent et s'amassent dans mon esprit, sans qu'aucune d'entre elle ne trouve de réponse immédiate satisfaisante. Tout se jouera au temps, et nous n'en avons que trop.

Une semaine déjà s'est écoulée, sans qu'aucun des deux belligérants n'intervienne. Personne ne bouge, de peur que l'autre trouve une ouverture qui serait fatale. Le chasseur traque lentement sa proie et l'épuise, plutôt. En l'occurrence, la bête est estropiée et en fin de vie, tant mieux pour nous. Dans un baroud d'honneur, ils envoient des salves de flèches sans cibles, pour nous effrayer. Des hommes meurent. Mes frères d'armes sont effrayés : une attaque aléatoire serait fortuite, d'autant que chacun de nous a ses trésors à retrouver chez soi. Mes enfants et ma femme me manquent terriblement.

L'assaut est plus complexe que prévu. Leurs fortifications tiendront, quoi qu'il en coûte. Nos cadavres s'entassent, la fatigue commencent à se faire sentir, il semblerait que la forteresse tienne le choc. Nos chefs militaires et plus fins tacticiens veulent lancer une attaque demain matin. Ils savent que dans cette base se trouve bien plus qu'une garnison affolée : ils n'en laissent cependant rien transparaître.

Matin de l'assaut. L'ordre est tombé, rien d'autre ne compte que la bataille qui va suivre. Il ne nous reste plus beaucoup d'hommes, plus beaucoup de vivres, plus de moral. C'est un ultime effort face à l'adversité, mais sont-ils seulement nos ennemis? J'y ai songé à chaque instant où mon esprit était libéré des chaînes engendrées par les batailles à répétition. Ce ne sont que des pauvres gens qui, comme moi, n'ont pas eu d'autre choix que de se battre pour que leur nation triomphe d'un puéril contentieux diplomatique. Nous sommes frères d'armes, mais c'est le vainqueur qui écrit l'histoire, pas le défait. Alors nous nous battons, sans relâche, sans même songer à ce que l'on risque, sans envisager l'avenir ou la mort.

Trêve de rêvasserie, il nous faut attaquer. Le cor sonne au loin, le signe du début de la bataille. La foule gronde et se lance alors, unie contre un objectif commun. La marée humaine n'est pas suffisante, car ce fort est un roc capable de briser la plus forte des houles. Les flèches pleuvent et emportent avec elles l'âme des soldats, sans doute vers un monde meilleur. Nos béliers ont créé une brèche dans l'énorme porte en bois massif. Nous affluons en masse vers ce point précis, et forçons ainsi un passage vers ce qui va devenir un abattoir.

Leurs hommes tombent un à un, sans opposer autre chose qu'une maigre résistance. L'un d'entre eux fuit vers le cachot, je m'élance à sa suite. Je dois bien m'amuser un peu, à vrai dire, même si cela, à bien y réfléchir, est bien trop sordide pour trouver une explication rationnelle. Il fait très sombre. J'entends des bruits de pas et me dirige vers la source du bruit. Une pièce vide, une cellule plus précisément. Je me retourne, et, comprenant que c'est un piège, je me hâte de sortir. Trop tard, me voilà enfermé dans cette tour, isolé de tous.

Je tambourine sur la porte, si fort que je pourrais en faire tomber les murs anciens composant la forteresse. Je crie, je hurle, rien n'y fait : seul le silence pour réponse. J'abandonne pour l'instant et me laisse bercer par la douce valse guerrière. Plusieurs minutes, heures, décennies peut-être se sont écoulées, je ne sais. La perception du temps est altérée lorsque l'on s'enferme dans ses convictions, un labyrinthe dont peu ressortent. Je sens le besoin pressant de sortir. Je tente d'enfoncer la porte. Une fois, échec premier. La porte en bois massif ne flanche pas. Deux fois.... libre! La porte s'affaisse en poussant un craquement terrible, s'affranchissant de ses entraves pour finir sur le sol froid du sombre couloir.

En sortant, je retrouve mes camarades, mes frères d'armes et d'infortune. Ils célèbrent la victoire dûment acquise, autour d'un festin immense. Ils ne semblent pas avoir souffert de mon absence, bien au contraire. Je passe inaperçu dans la grouillante foule, d'autant que je cherche à me faire discret : il serait humiliant d'admettre que je fus piégé. Je songe seulement à l'après ; ma femme et mon fils m'attendent. L'attaque est un succès, satisfait seront les aristocrates lorsqu'ils ouïront les résultantes de leurs puériles rivalités.

Une bataille parmi tant d'autres... quand ce carnage cessera-t-il? Pas aujourd'hui. Nous sommes trois jours après la prise du bastion de Reiks. Nouveaux ordres, nouvelles pertes. Je compte sur ma bonne étoile pour me guider au travers de l'enfer de la guerre, pour me rendre ce qui m'est cher, pour me sauver de cette folie meurtrière. Nous verrons, j'affronterai le destin debout, toujours l'arme au poing.

L'allée des MortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant