Le mardi 15 septembre 1840, Marie Arnoux partait pour la Suisse avec son mari et sa fille. Le lendemain allait débuter le procès de Louis-napoléon Bonaparte et quarante-cinq de ses comparses pour leur tentative de coup d'Etat. Cela faisait maintenant un quart d'heure que Marie Arnoux avait laissé sa fille. Elle brodait une trousse afin de disposer ses colifichets lors de ses flâneries en canot. Le voyage n'était pas long mais le tumulte fatiguait Marie. Le souffle du vent agitait ses rubans roses. Alors que son mari était parti chercher à boire ; elle pensait à l'exposition des Delacroix de la semaine passée, las des chevaux de de Dreux. Aussi, elle espérait pouvoir se rendre au Théatre-Italien écouter Rossini en Janvier prochain.
Une chaloupe à la coque bleue se frayait un chemin entre les trains de bois, fendant les flots azur, les voiles gonflées vers la capitale. L'aurore fendait les brumes matinales, éclairant les feuilles ambrées des platanes et faisant reluire les garde-fous chromés. La cheminée noire de la Ville-de-Montereau crachait une épaisse fumée blanchâtre. Cela ne l'empêchait pas d'admirer les gravures sur les ponts, la tranquillité des pêcheurs sur leur barque, les pigeons nichés sur les pilotis des berges de sables, les premières feuilles monotones d'automne qui s'abandonnent au gré du vent. Des enfants jouaient sur le bastingage tandis que leurs pères discutaient en fumant la pipe. Le premier tenait un chapeau haut de forme avec des gants blancs et le second une canne de pin. Tous deux avaient une veste à grandes basques à large revers recouverte d'une cravate ample. Elle surprit leur conversation :
- « Il est vrai que notre bonne poire encourage l'embourgeoisement de la chambre des pairs ainsi que de la famille royale.
- Je ne serais pas surpris de l'établissement d'une nouvelle classe de notables.
- Cessons de nous tracasser et profitons de la traversée. Alphonse, fini de jouer, allons retrouver ta mère. »
Les deux hommes descendirent, suivis de leurs enfants.
Elle remarqua une maison qui lui rappelait celle de sa grand-mère. Les buissons encore fleuris accueillaient les piaillements des moineaux. Un parterre de fleurs bordait le pas de la porte. Autrefois, elle aimait courir dans les jardins, s'enivrer du parfum des hortensias, des géraniums et s'endormir sous les cyprès ou les peupliers. Elle aimait courir à travers champs, broder dans les jardins. Les volets verts sur les murs roses parsemés de lierres donnaient un certain charme à cette maison. Un charme dépaysant, plus rural. Les saules pleuraient leur spleen et les révolutionnaires leur démocratie.
Un peu plus tard, sortant de ses rêveries, elle se remit à la tâche. On apercevait le pavillon tricolore flotter sur le pont. Le soleil de plomb dardait sur sa peau hâlée et le cuivre du bordage chauffait son dos. Cela lui rappelait, avec une certaine nostalgie, les îles, les voyages avec son mari. Alors elle plaça son châle dans son dos, mit son chapeau de paille tout en laissant son ombrelle posée contre le banc. Elle sentait le vent soulever sa robe de mousseline, ramenant un brin de chaleur des machineries et passant dans ses bandeaux.
Elle entendit des pleurs puis aperçut sa fille, tenant la main de sa nourrice. « Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Elle la prit sur ses genoux, se décalant, son châle lui échappa. Il allait tomber dans l'eau lorsqu'un jeune homme bondit et le rattrapa. Elle lui dit :
« Je vous remercie, monsieur. »
Elle n'eut le temps de l'observer que Jacques Arnoux cria :
« Ma femme, es-tu prête ? ». Les deux émeraudes de sa chemise de batiste apparaissaient, brillant dans le capot de l'escalier.
Les sons d'une harpe retentirent. Le musicien faisait pâle figure en première avec sa chemise de calicot maculée et son pantalon de ouate troué. La mélodie orientale transportait Marie Arnoux, lui donnant des envies d'évasion. Perdue dans ses pensées, elle songeait à l'invitation des Maillard au faubourg Saint Marcel. On jouerait aux cartes dans un nuage de haschisch après un dîner copieux. Elle pensait aussi devoir convier les Valmont le troisième mercredi d'Octobre. Pauvre Madeleine, la dépendance pécuniaire à son mari la dévastait. La luxure bien connue de son mari la couvrait de honte. Elle avait tellement de choses à faire. Elle voulait voir son amie d'enfance autour d'un café à La closerie des Lilas ; la voir danser la gavotte au bal de Samedi...
La cadence parfaite finale et les applaudissements la sortirent de sa torpeur. Ils descendirent manger autour d'une table ronde, dans le fond à droite, se fondant dans la masse. Son médaillon la gênait pour manger. Les champs s'étendaient à perte de vue au travers du hublot de la chambre.
Elle apprit plus tard par son mari que le jeune qui avait rattrapé son châle s'appelait Frédéric, qu'il avait dix-huit ans et qu'il s'en retournait chez sa mère.
YOU ARE READING
Réécrire la scène entre Frédéric et Marie Arnoux
Ficción históricaDevoir de français de première. Réécrire la scène entre Frédéric et Marie Arnoux du point de vue de cette dernière.