Chapitre un

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Il était 03h10 lorsqu'une douleur atroce me sortit de mon profond sommeil.

Essayant d'abord de l'ignorer, je me recroquevillais sur moi-même, tentant de la faire passer. Puis, alors qu'elle ne faisait qu'accroître, devenait bien trop insupportable et me donnait des vertiges, je me saisis de la télécommande posée sur ma table de chevet et j'appuyai sur le bouton rouge. Quelques secondes s'écoulèrent et, voyant que rien ne se produisait, je décidai d'appuyer une seconde fois. Elle doit dormir, songeais-je, culpabilisant de la réveiller. Tandis que je poussais des gémissements et me tordais de douleur, Jeanne accourut dans ma chambre et alluma la lumière.

« Sofia, que se passe-t-il? » demandra-t-elle affolée.

« Jeanne, marmonnais-je, c'est affreux!! J'ai mal! J'ai si mal!!
- Vous avez mal au ventre ?
- Oui, dans tout le ventre! Aide-moi! »

La petite femme partit au pas de course et revint, quelques secondes après, thermomètre en main.

« Ouvrez », demanda-t-elle.

Avec le peu de volonté que j'avais, j'ouvris doucement la bouche et sortis ma langue, toujours pliée en quatre. Jeanne posa le bout du thermomètre dessus et attendit un court instant avant de le retirer.

Elle l'observa avant d'affirmer: « 39,5 ».

Elle repartit alors, sûre de ce qu'elle faisait. Jeanne était ma gouvernante. Présente dans la famille depuis une trentaine d'années, elle avait toujours veillé sur moi depuis la naissance et il me suffisait d'appuyer sur une télécommande grise pour qu'elle accourt à mes côtés. Elle a été bien plus maternelle que mes deux parents réunis, et je l'admirais secrètement car elle était dotée d'un savoir exceptionnel: de la médecine aux corvées ménagères, elle connaissait une multitude de remèdes de grand-mère et je l'enviais sans l'admettre, parce que je ne savais rien faire, du haut de mes 19 ans. Haute de 1 mètre 55, elle était âgée de 53 ans et n'avait jamais eu d'enfants. Elle vivait chez nous à l'année, et me considérait comme sa propre fille -bien qu'obligée par sa profession de me vouvoyer. Elle était tout pour nous: femme de ménage, cuisinière, tutrice. Petite, un peu rondelette, cheveux noirs toujours attachés, elle dégageait de l'empathie, de la douceur et un amour inconditionnel pour son travail.

Lorsqu'elle revint, elle avait apporté une bassine d'eau, un gant de toilette, des mouchoirs et plusieurs boîtes de médicaments. Elle s'assit au pied de mon lit et imbiba le gant d'eau fraîche avant de me le placer délicatement sur le front.

« Ça va vous apaiser et faire baisser votre température », dit-elle en le tapotant sur mon visage.

Ensuite, comme à chaque fois que je suis malade, s'en suivit une accumulation de questions qui avaient le don de m'agacer; d'une part car je les trouvais stupides, et d'autre part car ma capacité de réponse était réduite à cause des maux dont je souffrais. C'est donc avec enthousiasme qu'elle les posait, et avec énervement que j'y répondais.

« Alors... depuis quand avez-vous mal?
- Depuis que je t'ai appelé.
- Où exactement avez-vous mal?
- Je te l'ai déjà dit, dans tout le ventre!
- Que ressentez-vous exactement?
- DE LA DOULEUR! » m'emportais-je.

Jeanne se mit à lire le dos de quelques boîtes de médicaments.

« Avez-vous... êtes-vous dans votre cycle périodique?
- Non.
- Ressentez-vous l'envie de vomir ou d'aller à la selle?
- ... peut-être.
- Qu'avez-vous mangé ou bu dans les 10 heures précédentes? »

Je soupirai profondément. Peut-être parce que le fait de répondre à cette question demanderait beaucoup d'effort, ou bien pour lui montrer que ses questions m'agaçaient, ou bien les deux.

« Eh bien... j'ai mangé au restaurant avec Lily, et j'ai pris un peu de vin... et... des pâtes aux fruits de mer... et du pain.
- Ne cherchez pas plus loin, c'est sûrement une indigestion bénigne.
- Je me fiche de ce que c'est, Jeanne, je veux juste que ça cesse!!
- Je vais vous aider à vous relever. »

Elle plaça sous ma nuque tous les coussins qui lui passaient sous la main, puis partit encore une fois, me laissant me lamenter sur mon sort. Ma vision de la pièce devint floue et mes paupières commencèrent à me démanger. Mes yeux se brouillèrent alors de larmes tandis que le réveil affichait 3 heures 35. Je détestais par dessus tout être malade, et encore plus lorsqu'il s'agissait de maux de ventres.

Jeanne revint au bout de deux minutes environ, portant une tasse d'eau chaude dans laquelle elle avait fait tremper quelques feuilles. Elle saisit ensuite deux médicaments différents, un effervescent et une pilule. D'abord elle laissa l'effervescent se dissoudre dans la boisson, puis elle cassa la pilule en deux afin de verser son contenu dans la tasse.

« Buvez », ordonna-y-elle avec tant de tendresse que si tous les ordres donnés étaient formulés de la sorte, ils seraient bien moins pénibles à accomplir.

Sans même me soucier du goût ni de la contenance du breuvage, je vidais la tasse en quelques secondes à peine, tant j'avais de confiance en l'efficacité des potions que me préparait Jeanne depuis mon enfance. Elle me porta une bassine afin que je puisse vomir si l'envie me prenait, éteint la lumière et referma la porte derrière elle après m'avoir assuré que j'irais bien mieux au bout d'une demi-heure, et qu'elle restait à l'écoute dans son sommeil pour que je puisse l'appeler au moindre soucis.

C'est alors l'esprit paisible et les paupières lourdes que je m'endormis, sourire aux lèvres après le passage de Jeanne, la solution à tous mes soucis. Il était 03h42.

Quelque part avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant