01 février 2019
Ça a commencé comme ça. Une pétale fluette lancée dans un ouragan, et pourtant celle-ci m'avait plu.
Je l'ai regardé, et je me souviens m'être dit : « cette pétale n'est pas comme les autres.Quelque jours avant son arrivée, je marche dans la neige.
Je suis partie sans prévenir personne.
J'ai les joues et les pieds brûlés par le froid.
J'ai à peine 17 ans, et je suis poussée par cet immense besoin de recommencer ma vie à zéro.
J'ai laissé mon portable chez moi. Quand je suis rentrée, plus tard, j'ai raconté beaucoup de versions différentes de ce qu'il s'est passé. Instinctivement, j'ai besoin de garder la véritable histoire pour moi.Je me souviens avoir emporté mon mp3. Pendant d'interminables heures, j'écoute les deux mêmes musiques pré-enregistrées, en boucle. Plus tard, mon cerveau les supprimera de ma mémoire.
Je me souviens marcher interminablement dans les rues, la nuit.
Je me souviens m'arrêter en haut d'une colline et me dire : les lumières d'en bas ressemblent à une guirlande de Noël. Je fixais cette image très fort avant de fermer les yeux, comme pour l'imprimer. J'étais persuadée que de cette façon, elle resterait encrée à vie dans ma tête. Aujourd'hui je l'ai oubliée aussi.Je me souviens aussi des nombreuses couches de vêtements que j'avais enfilé avant de partir. De mes petites baskets noires trop légères, enfilées sur deux paires de chaussettes, incapables de protéger mes pieds du froid, qui laissaient de toutes petites traces dans la neige.
Passée une certaine heure, je chantais les mistrals gagnants à haute voix, doucement.
Comme tous les adolescents du monde, j'ai fini par rentrer, bien sûr.
J'avais 17ans quand j'ai fugué de chez moi pour la première fois, en plein milieu de l'hiver.
J'avais écopé de mon père un esprit de compétition dont je sortais toujours perdante, doublé d'un très fâcheux complexe d'infériorité. Ma mère ne m'avait jamais appris à communiquer avec les autres, alors je m'étais fixé dans la tête que la seule façon d'atteindre les autres et qu'ils m'acceptent à leur tour, c'était d'être toujours plus. Et je n'étais jamais assez.
Je faisais bien évidemment ce que la plupart des jeunes de la gen z sont capables de reconnaître aujourd'hui : recopier inconsciemment les mécanismes malsains de mes parents. Mais ça bien sûr je n'en avais à l'époque pas conscience. J'étais au contraire persuadée de tout faire pour ne pas leur ressembler.
Toujours est-il que suivre inconsciemment ces mécanismes m'avaient inévitablement conduit à une espèce de brun out : j'avais atteint les limites du "toujours plus". J'étais partie.
Quelque jours plus tard, j'ai récupéré mon téléphone.
Mes doigts et mes joues avaient été transis par le froid : je devais appliquer de la crème, j'avais du mal à écrire sur mon petit clavier digital.J'ai reçu, parmi les messages tantôt inquiets, tantôt rassurants, un profil inconnu. Une pétale qui volait par là, au hasard dans le vent, avait décidé de venir se poser chez moi.