1 - un

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quand il entre dans l'appartement, la porte grince sinistrement, comme pour laisser entendre qu'il n'est pas le bienvenu ici. que ce n'est pas chez lui. sauf que ça l'est. ou peut-être plus. se sent-il encore chez lui quelque part ?

les minces filets de lumière pâle qui transpercent les volets font apparaître tout le ballet de la poussière. danseurs dans les airs, les minuscules particules de saleté volètent dans tout le salon. ça doit être le cas dans les autres pièces aussi. sûrement. il lâche ses deux gros sacs verts sur le plancher et quelques moutons s'envolent en le faisant tousser. il a un peu de mal à croire que trois ans auparavant, cet endroit était son chez-lui, son cocon de douceur et de bonheur. il laisse son regard parcourir ses quelques meubles recouverts par des draps blancs devenus gris avec le temps. ce canapé, là-bas et la table, ici. la bibliothèque, par là-bas et le pêlemêle de photos juste ici. il fait courir son regard le long des murs humides, sur les traces de souvenirs et la réalité lui revient en pleine figure.

tout a changé.
rien n'est plus pareil.

pourtant, en rentrant ici après trois ans de missions militaires, il croyait encore pouvoir retrouver sa vie d'antan, sa vie de paradis. hier, il dansait tard le soir et dormait tôt le matin, riait, vivait avec ses amis, sa famille, et lui. et aujourd'hui, la plupart de ses proches sont exilés, partis, ou en cavale. ou morts. il s'y est fait. il savait que la guerre avait fait des ravages dans la population. après tout, l'odeur putride des corps et la sensation cuisante des larmes avaient été son quotidien. les tic tic tic des mitraillettes qui éclatent des vies et les bang bang bang des bombes qui explosent des cœurs avaient rythmé ses jours et bercé ses nuits. alors aujourd'hui, il sait que son appartement ne reverrait sans doute jamais johnny, son meilleur ami passer sa porte. ni taeyong et doyoung, ses professeurs de rap et de chant. ni jaemin et jeno, ses amis d'enfance. ni renjun, son partenaire de travaux surveillés à l'université. ni personne. parce que tout le monde est soit exilé, soit parti, soit en cavale. soit mort. tout ici est vide de rire et de sourire. il essaie de se repenser à tous ses souvenirs heureux, à tous ces bonheurs qui caressaient ses jours passés mais il n'y arrive pas. il essaie ! mais il n'y arrive pas. comme si ces moments ne lui appartenaient pas, comme si la guerre avait balayé sa vie d'avant. dans son coeur, il n'y a plus que ruines et douleur. et ici, tout est vide du moindre rire ou sourire. ici, tout est vide de son rire et de son sourire.

sauf si... sauf s'il l'avait attendu. sauf s'il était revenu.

et comme transporté par cette drogue appelée espoir, il fait volte-face et presque en courant, il parcourt son appartement. son regard fou s'accroche à la moindre parcelle d'ombre, peut-être s'y cache-t-il ?

cuisine, rien.
salle de bains, rien.
toilettes, rien.

chaque pas pouvait le rapprocher de lui ou éloigner un peu plus sa trace. à chaque pièce vide, son coeur meurtri se recroqueville un peu plus dans sa poitrine. il reste sa chambre.

leur chambre.

il reste immobile un moment, le temps de remémorer les petits déjeuners au lit et les baisers fougueux contre la porte. il pose sa paume moite sur la poignée en fer et la pousse. le mouvement a beau être infime, il lui semble que toute l'énergie de son corps fatigué s'est enfuie d'un coup. et il est épuisé, épuisé de tout. et surtout épuisé de ne pas l'avoir à ses côtés.














puis, dans sa poitrine, le cadavre d'une vieille bombe explose.

la lumière passe à travers les rideaux crème, devenus gris sale avec les années. autour de lui dansent toujours les particules de poussière et chacun de ses pas en soulevent d'autres, qui rejoignent gracieusement la valse. il passe d'abord son regard sur la commode en bois clair qu'il aimait tant et puis sur les fleurs belles comme au premier jour qui trônent dans le vase. il reconnaît ensuite les tableaux qu'il avait fait naître de ses doigts magiques. il sourit en repensant aux longues après-midis soleil, citron et tournesol qui avaient pris vie sur ses toiles nues. il est très doué et aussi beau que ses peintures.

et enfin, sa silhouette, dessinée à l'aquarelle, assise en tailleur sur leur grand lit froid. il y a toujours sa peau de miel et son regard ambre. il y a toujours ses cheveux châtains légèrement décoiffés et sa tête doucement penchée sur le côté. il a toujours ses doigts fins et ses genoux noueux. il a toujours ses vêtements opalins et ses lèvres roses. il a toujours sa joie de vivre, son parfum sucré, sa lumière qui illumine bien plus que le soleil voilé au dehors. il est toujours son premier secret, son premier désir, son premier amour. et son coeur en fanfare emporte au loin les dégâts des bombes.


- bonjour mark !
et son rire s'envole, danse avec les particules de poussière et bat dans la poitrine de mark.

- bonjour donghyuck !
et leurs corps se retrouvent, leurs chaleurs se mélangent et leurs âmes se chantent comme pour la première fois.



finalement,
peut-être que tout était pareil.

finalement,
peut-être que rien n'avait changé.

ー 死霊 (shiryô)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant