mark aurait aimé que tout se passe autrement. pour aider son pays, il aurait tout donné, tout risqué. sauf lui.
sauf donghyuck.
sauf celui pour qui il se battait.dehors, la menace de la guerre était plus pesante chaque jour. du haut de ses même pas vingt ans, il avait tellement peur. peur de se faire enrôler, peur d'être blessé, peur d'être tué. peur de savoir sa famille en danger, peur de sentir ses amis persécutés, peur de voir hyuck mourir devant ses yeux. et la nuit, quand il allait se coucher juste après le journal télévisé, il restait longtemps éveillé. pour ce début de juin 1950, il faisait déjà trop chaud et la sueur qui roulait dans sa nuque le chatouillait désagréablement. il avait tellement chaud mais au fond de lui, il faisait déjà si froid. parce qu'ainsi, allongé dans son lit d'adolescent parti trop vite, ses bras immaculés croisés sous sa tête noiraude, ses lunettes de travers sur son nez rond, il savait ce qui allait se passer.
il allait devoir partir à la guerre. et si lui partait, hyuck partira avec lui. et juste ça, juste effleurer l'idée le rendait malade.
non pas qu'il était faible. au contraire, mark avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi fort. donghyuck était un battant. le seul problème, c'est que hyuck n'était pas un guerrier. non, il refusait de laisser hyuck, son joli rayon de soleil, être abîmé par la guerre qui planait au dessus de leurs têtes. ils en avaient parlé plusieurs fois, assis ici et là, leurs mains se frôlant doucement comme pour savourer encore et encore une sensation qu'ils savaient perdue d'avance. plongés dans les yeux de l'autre, l'un tentait de se faire comprendre de l'autre. mais impossible : l'amour rend bien trop aveugle. et à chaque lever de soleil, quand hyuck s'échappait vite de l'étreinte du noiraud pour rentrer chez lui, mark se haïssait. encore envoûté par le parfum de celui qui avait volé son coeur, il ne pouvait pas s'empêcher de songer au jour où le coucher du soleil ne le mènerait plus jusqu'au creux de ses bras. toute la journée, il cherchait de nouveaux arguments pour le dissuader de postuler lui aussi à l'armée mais rien n'y faisait : hyuck gagnait toujours et mark était toujours aussi faible devant son sourire et ses grands yeux. il devenait si petit face à sa peau mielleuse et ses mains bouillantes.
le 25 juin 1950, les sud-coréens sortirent dans la rue pour observer passer, impuissants, les premiers chars défiler. la guerre était déclarée. mais mark s'inquiéta bien plus de l'étincelle de détermination, noire comme le ciel grondant, qui brûlait au fond du regard brun de donghyuck. la guerre était déclarée et quand, en écho à la foule autour d'eux, hyuck lança son salut militaire, il sembla à mark qu'il allait perdre bien plus que du temps ou des gens.
donghyuck venait de fêter son dix-neuvième anniversaire. il était majeur, responsable et ce matin de juillet, quand il vint le cueillir à sa porte, mark le trouva si petit, si frêle dans son uniforme sévère qu'il faillit en vomir. les poignées de leurs gros sacs leur brûlaient les doigts et doucement, presque silencieusement, on voyait que la chaleur de leur amour, les jours à rire et les nuits à regarder les étoiles passer leur manquaient déjà.
les mois passaient, lentement, difficilement et mark ne lâchait pas hyuck. finalement, ce n'était pas si terrible parce que ça. les offensives contre leur camp étaient assez rares et ils étaient toujours prêts à riposter. ils parvenaient quand même à s'occuper et à passer du temps ensemble.
il y avait
son sourire, les parties de cartes dans le campement.
les cris de rage et les éclats de rire furieux.
les silhouettes embrassées qui se découpaient dans le tissu clair des tentes.soudain, un coup de feu. les cartes qui s'envolent.
puis un second tir. le regard effrayé de hyuck. la carafe qui se renverse.et puis l'explosion. la table qui valdingue. leurs corps qui s'envolent.
et puis son corps à lui. sans vie.
et puis ses lèvres glacées. ses mains crispées.
et puis son visage en sang. ses membres explosés.et puis ses yeux. son dernier regard, planté dans celui de mark, qui ne se relèvera jamais vraiment.
un troisième tir. mark se réveille en hurlant.
sa gorge agonise. sa poitrine étouffe. son coeur bat trop vite
et si lentement. non, bien trop vite ! mais non, il ne bat plus.
hyuck était bien mort.ses larmes courent sur ses joues livides, ses jointures sont crispées autour de la couverture.
il tourne brusquement la tête.
donghyuck s'est réveillé, et c'est comme un rayon de soleil qui traverse les rideaux crème. mark respire trop fort et lui reste si calme, avec son sourire lumière et ses lèvres charnues teintées de rose.leurs mains se trouvent sans même se chercher parce qu'ici est l'évidence : ils sont faits pour être ensemble. rien ne peut les séparer. aucune bombe, aucun canon, aucun fusil. là où l'un va, l'autre va. et mark aime savoir que la chaleur de hyuck restera près de ses côtes tremblantes pour l'éternité que durera leur amour.
les longs doigts caramélisés de l'étoile se lient aux siens, encore moites, et sa respiration se mêle à la sienne en la rassurant doucement. pas de mot, que des souffles. pas de superflu, que l'essentiel. pas les autres, que leurs cœurs.
- tu m'as tellement manqué, hyuck. j'ai bien cru que je n'allais jamais te revoir.
nouveau sourire angélique. la lune fait soudainement pâle figure face au petit bout de soleil qui dort ce soir aux côtés de mark.
- ne t'en fais pas. je serai toujours là. je te le promets.
VOUS LISEZ
ー 死霊 (shiryô)
General Fiction1953, corée du sud. au crépuscule de la guerre, mark retrouve son soleil. ━・ « hallelujah » - jeff buckley markhyuck - mars 2020.