Là lumière faiblit, le soleil se couche. J'aime ce moment où la journée n'est pas totalement finie et où la nuit n'a pas encore commencé. Le temps s'étire, les secondes deviennent minutes et le rythme interrompu de la journée se calme enfin. On respire, et en levant les yeux sur ce ciel qu'on ne regarde plus, on observe les astres lentement apparaître. Les yeux rivés sur un quelconque dossier à boucler, sur un téléphone qui ne cesse de nous rappeler à quel point nos vies sont rythmées, on en vient à oublier ce qui paressait pourtant essentiel. Comme regarder le jour doucement décliner. Allongée sur mon lit, j'écoute les bruits de la ville qui s'endort pour certains et se réveille pour d'autres, j'écoute les bruits de la nuit. Je laisse mes pensées dériver sereinement, je ferme les yeux. Je sent sur ma joue le courant d'air frais que ma fenêtre légèrement entre-ouverte laisse entrer. Ma gorge se sert, quelque chose de lourd, très lourd, me bloque la poitrine, je suffoque. La pression est insoutenable, en repliant les jambes je m'assieds brusquement, le dos contre le mur. Ma respiration est saccadée, des larmes perlent aux coins de mes yeux. Je voudrais hurler pour libérer ma poitrine de cet étaux qui m'empêche de respirer. Je tremble. Les images tourbillonnent dans ma tête sans que j'arrive à mettre sur pause ce flot continu qui m'aspire. Et je me sent seule, si seule. La tête enfouie dans mes bras serrés je voudrais que la nuit m'enveloppe, je voudrais qu'elle se transforme en une étreinte et qu'elle comble le vide qui occupe ma poitrine. Je n'ai pas versé une larme depuis l'annonce catégorique du médecin, j'ai serré les dents, j'ai gardé la tête froide quand il a fallu organiser les funérailles. Pendant deux jours j'ai fonctionné en automate, signant des formulaires remplis de mots barbares, appelant familles et amis pour finalement les entendre sangloter au bout du fil. Je restais calme et répondais par monosyllabes à leurs messages de soutiens et à leurs condoléances toutes plus ou moins sincères. Je ne me souviens quasiment pas de la cérémonie, debout face à l'assemblée, je me revois baisser la tête sur mes doigts tremblants, tenants un bout de papier sur lequel j'avais griffonné quelques mots maladroits. Je m'étais construite une véritable carapace, refusant de me laisser envahir par mes émotions dévastatrices, je refusais de voir la vérité en face. Quand j'ai levé les yeux sur ces dizaines de visages dirigés vers moi, tout m'est revenu en mémoire. Une immense vague a tout détruit sur son passage, a réduit en poussière le maigre équilibre que j'avais construit durant la tempête. Je l'ai vue confiante face aux annonces des médecins, je l'ai vue accepter presque avec indifférence les mauvaises nouvelles, qui à chaque examens étaient plus nombreuses. Elle ne voulait pas que je m'inquiète, elle ne cessait de répéter que tout irai bien, qu'elle était forte. Elle l'était, mais pas assez pour la maladie qui l'a emportée deux mois après le diagnostique. Tout est allé si vite, je la revois maintenant tombant des escaliers, trop affaiblie pour supporter son propre poids. Puis dans son lit à l'hôpital, quand rester chez elle était devenu trop dangereux . Elle était si maigre et si pâle qu'elle se fondait avec les draps blancs caractéristiques des hôpitaux. Je lui rendais visite chaque jours bien qu'elle avait choisi de se faire hospitaliser dans la clinique de la ville d'à côté. Elle ne voulait pas se faire soigner dans l'hôpital où elle avait accompagné tant de patients qui étaient quelques mois plus tôt à sa place, elle ne voulait pas que ses collègues la voient affaiblie. Elle ne voulait pas que je la voit affaiblie. Une cancérologue elle même atteinte d'un cancer, cette idée la faisait rire et dans les meilleures jours elle riait en déclarant " c'est donc ce que je mérite ?" . Elle était tellement forte, bien plus que moi alors que c'était elle qui avait une tumeur dévastatrice qui lui prenait petit à petit ses derniers instant de vie . Elle ne laissait pas le désespoir la ronger, la peur la détruire, elle n'était pas croyante, elle acceptait la maladie sans rejeter la faute sur quiconque et répétait que les seules choses capables de la sortir de cette impasse étaient son courage et sa volonté. Pourtant elle n'a jamais abandonné, et un beau matin alors que je finissais ma garde, son médecin m'a appelée pour m'annoncer qu'elle nous avait quitté dans la nuit.
Quand j'étais petite, je pensais que si je fermais très fort les yeux, le soir dans mon lit, les mauvaises choses de ma journée allaient s'effacer et s'envoler pendant la nuit. Je voudrais que ce soit possible, je voudrais fermer les yeux et me réveiller demain matin en réalisant que les trois derniers mois n'étaient qu'un rêve. Je voudrais me réveiller, me rendre à la clinique et comme chaque matins prendre un café avec ma mère en débriefant sur les patients de la journée. Je voudrais entendre son doux rire s'échapper des chambres des enfants et des plus grands à qui elle rendait visite, pour contrôler l'avancée d'un traitement ou simplement pour s'assurer qu'ils ne manquaient de rien. C'est elle qui m'avait appris qu'un patient ne se définissait pas par sa maladie et que nous ne nous trouvions pas face à des numéros enregistrés dans l'ordinateur, il fallait adapter son comportement à chaque personnes et surtout garder notre humanité à toutes épreuves. Les gens l'aimaient pour sa simplicité, elle savait rassurer en quelques mots et annoncer les mauvaises nouvelles quand il le fallait. C'est elle qui m'avait transmis cette volonté d'accompagner des êtres humains dans ce qui était sûrement l'épreuve qui les changerait à jamais. Ma mère aura passé sa vie à servir les autres et est partie avec la maladie qu'elle a cherché à comprendre durant de nombreuses années. C'est justement peut être parce qu'elle la connaissait si bien qu'elle l'a acceptée, c'est comme une vielle amie qu'elle l'a accueillie et qu'elle l'a finalement suivie.
Je me noie, et je n'ai pas la force de sortir la tête de l'eau. Alors lentement je me laisse glisser sur mon lit, d'un geste brutal j'enlève mes vêtements qui m'étouffent et enfouie la tête dans mon oreiller. Enfin les images semblent se tarir dans mes pensées, alors je m'abandonne à la douceur des draps et sombre dans le sommeil.
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Luz
RomanceQuand sa mère décède des suites d'une maladie, Luz se retrouve perdue. Continuer de travailler dans la clinique où sa mère avait exercé pendant des années avant de lui laisser le cabinet, est au-dessus de ses forces. C'est alors qu'elle trouve un jo...