Une désagréable sensation de froid me réveille, j'ai oublié de fermer ma fenêtre hier soir, nous sommes en Mai et les nuits sont encore fraîches dans l'Etat de Washington. Je fixe mon réveil qui indique 7h36, et roule sur le côté pour tenter de me rendormir, le chef de mon service à la clinique m'a assuré que je pouvais prendre le temps qu'il me faudrait avant de reprendre le travail. Je n'ai aucune envie de sortir de mon appartement pour marcher dans les avenues brumeuses de New-York, de prendre le métro rempli d'inconnus qui ont les yeux rivés sur leurs petits problèmes et qui ne savent pas ce que signifie le mot bienveillance. Pourtant une petite voix me souffle que ma mère n'aurait certainement pas voulu que je reste dans mon lit à me morfondre. Quand je n'allais pas bien et que j'avais l'impression que je ne m'en sortirais jamais, ce que pense la majorité des gens au moins une fois dans leur vie, elle me répétait qu'il ne servait à rien de s'enfermer dans la tristesse, qu'il y avait un temps pour accepter la douleur et un autre pour se relever et pour tout mettre en oeuvre pour passer à autre chose. Cela ne servait à rien de s'entêter à prétendre que tout allait bien, on ne peut se mentir à soit même, la réalité finit chaque fois par nous rattraper et chaque fois on souffre un peu plus. Ma mère aurait séché ses larmes, ravalé la boule de détresse dans sa gorge et aurait fait bonne figure dans le métro rempli d'inconnus bornés. Mais je ne suis pas ma mère, je n'ai pas envie d'arriver à la clinique et de voir de la pitié dans le regard de mes collègues, d'entendre leurs chuchotements sur mon passage. Et surtout je ne veux pas faire semblant, je ne veux pas mentir et afficher un sourire parfait alors que tout s'effondre en moi, je ne le supporterais pas, je n'y arriverais pas. Au cabinet tout le monde est au courant que la maladie a finalement vaincu le Dr Robertson, les médecins, le personnel, les patients, tous ceux qui ont pu se déplacer étaient présent à l'enterrement. Le malade qui enterre son médecin, si ce n'est pas une ironie du sort. Deux semaines avant son décès ma mère travaillait encore chaque jours, elle refusait d'abandonner ses patients et l'hôpital qui était devenu sa seconde maison. Personne ne s'attendait à ce que ça finisse aussi rapidement, ils n'ont pas eu le temps de penser à un remplaçant pour ma mère. Le service doit être perdu sans elle, elle était comme le pilier de l'unité oncologie de l'hôpital Presbyterian de New-York, et prendre en charge des personnes atteintes d'un cancer à un stade parfois avancé sans les connaitre est un des exercices les plus compliqués pour un oncologue. Il faut étudier les dossier un à un, faire attention à chaque détail car la moindre faute peut avoir des effets dramatiques. Je craint l'état dans lequel je vais retrouver la clinique mais je sais qu'elle est entre de bonnes mains , je ne veux plus à avoir à m'occuper de quoi que se soit qui se rapporte à la mort de ma mère.
Finalement je m'extirpe de mon lit et commence à me préparer pour la journée. Ma mère m'a toujours appris à avoir une apparence parfaite sans qu'on ai l'impression qu'il y a eu des heures de travail pour arriver à ce résultat, elle semblait toujours tirée à quatre épingles mais son naturel déconcertait à chaque fois. Ces gestes que je répète chaque jours me rassurent, la routine a quelque chose de réconfortant, je pourrais presque croire que rien ne s'est passé. Je regarde mon reflet dans le miroir avant de partir, mes cheveux châtains sont relevés en queue de cheval comme toujours quand je pars travailler, je porte un jean avec une chemise beige. Je n'ai jamais trop prêté attention à mon apparence, je préfère l'idée de me fondre dans la masse et aujourd'hui encore plus que jamais. Je marche sur les trottoirs, la foule est dense, les gens se bousculent, ne regardent pas où ils vont, les bouches de métro déversent des centaines de personnes qui se précipitent vers des bureaux où ils vont probablement rester enfermés toute leur vie, à lire des dossiers auxquels ils n'entravent rien et à se faire crier dessus par un patron à fleur de peau. Cette agitation, qui m'était pourtant familière et dans laquelle j'aimais me fondre, m'oppresse. Tous ces gens qui crient, ces cafés qui manquent de se renverser quand un homme ou une femme d'affaire, trop occupé par son téléphone, bouscule un autre homme ou une autre femme. Chacune de ces personnes m'énervent, je voudrais pouvoir les faire disparaître, je voudrais être seule à marcher dans ces rues, je voudrais être seule. Un chauffeur de taxi me hèle. " Ne restez pas plantée là ma pt'ite dame, la journée n'a pas encore commencée, elle est encore devant vous, ce serait dommage de la gâcher. ". Si il savait... Il m'énerve, comme cette foule de personnes autour de moi, pourtant sa voix me tire de mes pensées. Je jette un regard affolé autour de moi quand je me rend compte que je suis au milieu de la route, dans le sens inverse de centaines de personnes qui viennent de sortir du métro. Ne laissant pas cette vague humaine m'emporter, je me dirige vers le trottoir d'en face, la tête baissée, honteuse de m'être laissée submerger par mes pensées, encore une fois.
Quand j'arrive enfin à l'hôpital, cet endroit que j'aimais tant, qui me rappelais à quel point j'avais travaillé dur pour y être, me semble aujourd'hui sombre, gris. Les murs sont gris, le béton est gris, les pigeons perchés sur les toits sont gris. Cette journée s'annonce joyeuse, pensais-je, en me dirigeant vers l'unité oncologie. Cela fait maintenant 4 ans que je suis arrivée ici pour les stages de mes études de médecine, j'ai toujours su que je voulais faire la même chose que ma mère, alors j'ai passé toute ma scolarité à travailler et à choisir chaque option qui me permettrait d'atteindre les études de médecine et de m'assurer la réussite. Je ne regrette pas de m'être donné les moyens d'arriver là où j'en suis maintenant, simplement je me rend compte aujourd'hui que je n'ai pas réellement profité de mes années lycées . Je sortais très rarement, je passais généralement mes weekends à prendre de l'avance dans mes devoirs. Pourtant rien ne m'obligeais à le faire, ma mère me poussais même à sortir avec des amis. Elle avait peur que j'ai des regrets, elle avait une phrase, comme un mantra, qu'elle répétait sans-arrêt : " On n'a qu'une vie, elle est trop courte, trop fragile. Et puis vaut mieux avoir des remords que des regrets, non ? ". Je ne l'ai pas écoutée, la seule chose qui comptait pour moi était de pouvoir travailler un jour à ses côtés, et ce n'est que maintenant que je me rend compte de l'importance de ses paroles. Les quelques amis que j'avais au lycée n'en étaient pas vraiment et je les ai tous plus ou moins perdu de vue. A l'époque, trop occupée à préparer mon entrée à l'université, je n'y avais pas tellement prêté attention. Et puis j'ai rencontré mes deux meilleurs amis, tous les deux étudiants en médecine. Lisa est sûrement la jeune femme la plus pétillante que je connaisse, elle a finalement abandonné ses études de médecine sous prétexte qu'elles ruinaient sa vie sociale. Elle est donc devenue serveuse dans un bar d'étudiants pour économiser assez d'argent afin de partir à Paris travailler dans la mode. Mark lui est plus réservé et le cliché de l'homme parfait, Lisa et lui étaient déjà colocataires avant que je ne les rejoigne . Je m'étais souvent demandée si ils étaient amis avec moi par intérêt, nous étions diamétralement opposés, mais au fil des épreuves que nous avions traversés je m'étais rendue compte qu'ils étaient les seuls vrais amis que j'avais eu et qu'ils faisaient partie des quelques personnes sur qui je pouvais réellement compter.
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Luz
RomanceQuand sa mère décède des suites d'une maladie, Luz se retrouve perdue. Continuer de travailler dans la clinique où sa mère avait exercé pendant des années avant de lui laisser le cabinet, est au-dessus de ses forces. C'est alors qu'elle trouve un jo...