L'esprit d'Ellie

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Fille unique et plutôt solitaire, je crois que j’ai toujours voulu, au fond de moi, être acceptée par les autres enfants. Mais je n’étais pas comme eux. J’avais ce petit quelque chose de différent, ce petit quelque chose qui faisait que personne ne m’approchait. Je suis passée par tellement de surnoms, c’est inimaginable comme les enfants peuvent être blessants. J’étais la folle, la tarée, la bizarre, la sans amis, celle qui entendait des voix, la Jeanne d’Arc moderne quoi. Et ils n’avaient pas tort, j’entendais, et j’entends toujours, des voix. Enfin en quelque sorte.

D’après les docteurs, je suis atteinte de troubles dissociatifs de l’identité. En gros, on est plusieurs dans le même corps, trois pour être précise. Ça a commencé à se manifester vers mes 9 ans, du moins, c’est à ce moment-là que mes parents ont commencé à vraiment s’inquiéter. Parce qu’un enfant qui a des amis imaginaires, ça n’est pas rare.

Mais bref, aujourd’hui, j’ai 17 ans. J’ai arrêté l’école il y a bientôt 3 ans. Je ne pouvais plus supporter tous ces regards, aussi pesants les uns que les autres, toutes ces voix et ces rumeurs autour de moi. D’après elles, il paraîtrait que je sois possédée. Du coup, je suis des cours particuliers pour éviter d’être trop en retard. On ne sait jamais qu’un jour, l’envie me prenne de commencer des études, que je décide de sortir à nouveau de chez moi, pour faire autre chose que le trajet maison-parc. Le seul endroit où je puisse vraiment respirer. Mes parents ne comprennent vraiment rien, ils pensent que c’est une maladie qui m’empêche de vivre une vie normale. D’où le fait que je passe une majeure partie de mon temps à la maison. On ne sort presque jamais, personne ne nous invite à passer la soirée chez eux. Les gens avec qui mes parents étaient amis, les ont peu à peu laissé tomber, se heurtant continuellement à un refus. Et tout ça par ma faute, parce qu’ils avaient peur que ça n’aggrave la situation. J’avais beau leur dire de sortir, de profiter, même sans moi s’ils le voulaient, mais ils n’ont jamais changé d’avis. Alors j’ai arrêté d’insister. Et puis, si mes parents pensent que je suis loin d’être normale, je trouve plutôt que ça me différencie des autres, c’est mon petit truc à moi.

Ah ! Ça y est, Ellie m’a enfin laissé la place. Cette meuf est vraiment chiante quand elle s’y met. D’accord, je sais, de base c’est elle qui a le contrôle vu que c’est « son corps ». Mais merde quoi ! Je suis là aussi ! Et puis, il y a Denver… c’est un enfant de 8 ans, et il le restera, il n’a pas grandi depuis les 9 ans d’Ellie. Heureusement, il est plutôt discret et il reste beaucoup dans son coin. Étrangement, j’ai l’impression qu’Ellie n’aime pas quand je suis là, mais perso, j’en ai rien à foutre. Après tout, c’est aussi mon corps, elle ne peut pas le monopoliser.

-Ellie ! appelle la mère de celle-ci.

Merde, ça, ça veut dire qu’Ellie va se repointer.

Après le repas, et comme à mon habitude je suis montée comme une flèche dans ma chambre. Le moment le plus important de la journée arrivait enfin. J’allais parler à David ! Il apparaissait tous les soirs depuis plus d’un an. Il était la seule personne avec qui je pouvais avoir de vraies conversations, la seule personne qui me comprenait, la seule personne vraiment importante pour moi. Je filai dans la salle de bain, histoire de prendre une rapide douche, enfilai mon pyjama en pilou-pilou, et entrai dans ma chambre. David était déjà là. Il m’attendait, le dos tourné, assis sur mon lit. Il a brusquement pivoté lorsque la porte a claqué, et il m’a lancé un grand sourire charmeur dont lui seul avait le secret.

-Salut Ellie ! me dit-il

-Salut David ! lui répondis-je en allant m’asseoir à ses côtés.

-Comment tu vas depuis hier ?

-Comme tous les jours, tu sais bien, lui lançais-je avec un petit sourire.

David avait les traits tirés, il n’avait pas dû beaucoup dormir la nuit précédente. Ses cauchemars étaient probablement de retour… Mais je savais qu’il n’aimait pas en parler, donc je n’ai pas abordé le sujet. Il avait un petit boulot dans le centre-ville de Montréal. Parce que oui, il vivait au Québec, soit à exactement 5532 kilomètres de moi. Cette distance, je l’espérais, serait un jour de l’ordre du souvenir. Parce que c’est bien beau de se voir tous les soirs, mais nous étions dans la totale incapacité d’avoir le moindre contact physique. Et lui, tout comme moi, souffrait d’un grand manque affectif.

L'esprit d'EllieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant