Chapitre 1 (partie 2)

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Aldavir sentit une surface dure heurter son crâne, puis tout ce qu'il y avait autour de lui disparut dans le néant.

Oh, ma tête ! Il voulut porter une main à son crâne douloureux, mais une matière brute interrompit son mouvement.

Il était allongé dans la neige, sous la charrette retournée. Prisonnier, mais vivant.

Peut-être plus pour très longtemps. Son champ de vision était réduit, mais il voyait distinctement les pattes antérieures d'un loup. Et un bras arraché. La main mutilée portait une bague bien trop familière. Les mâchoires serrées, il se força à ne pas crier et à ignorer les bruits de mastication. Les larmes aux yeux, il ne pouvait plus rien faire pour son vieux protecteur. Il se prit à espérer que le marchand comblerait l'estomac af-famé du prédateur, et que son propriétaire ne s'apercevrait pas de sa présence.

C'était visiblement trop demander. À peine son festin fut-il terminé que le loup se mit à arpenter le véhicule de long en large. Dans son malheur, Aldavir avait eu la chance inestimable que la charrette ne l'ait pas écrasé. Il pouvait espérer... une fuite ? un affrontement ? Radulf lui aurait volontiers frappé derrière la tête avec un « Abruti de gamin ! », mais, quel qu'ait pu être son choix, il ne s'était guère avéré meilleur.

Finalement excité par son manque d'entrain à le rejoindre, l'animal se mit à creuser avec frénésie. La panique le submergea. Peu importait son plan, il ne parvenait pas à se résoudre à sortir de son seul abri pour lui faire face. Il évitait ses griffes. Il frappait du pied dès que ses mâchoires étaient à portée. Le loup piaillait sans se décourager ; il finirait bien par l'agripper et l'en extraire : il grattait sans relâche ; il se rapprochait.

Sa proie reculait autant que possible.

La neige s'insinuait dans sa nuque, sous ses vêtements.

Son dos heurta du bois. Un frisson d'horreur lui glaça les sangs.

Il était pris au piège.

Tout à coup, des cris rauques se rapprochant à pleine vitesse détournèrent l'attention de la bête. Ses grognements couvrirent à peine les ordres et les menaces scandées par des cavaliers, qui visèrent dans sa direction avec leurs armes. Aldavir sentit son cœur se gonfler d'espoir : si le loup avait traqué sa victime, lui-même faisait l'objet d'une poursuite acharnée. C'était là son unique chance !

Il hurla qu'on lui vienne en aide. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Mais l'animal prit la fuite, les guerriers à ses trousses. Et le silence retomba.

Ils sont partis. Il étouffa un juron furieux. Aucun d'eux n'avait jugé utile de lui prêter main forte ! Désireux de ne pas rester une seconde de plus à cet endroit, il se contorsionna, poussa sur ses bras et ses jambes et se traîna le plus vite pos-sible vers la sortie... pour tomber nez à nez avec le ventre dévoré de son compagnon. Plus loin, les restes de Klothilde n'étaient plus qu'un pêle-mêle ensanglanté.

Son estomac se contracta douloureusement. Il eut juste le temps de se pencher en avant pour ne pas vomir sur ses bottes. Il se força à ravaler son chagrin ; il devait partir. Sa survie n'était pas assurée : à tout moment, le loup, ou l'un de ses congénères, pouvait lui tomber dessus. La nausée au bord des lèvres, il ramassa l'anneau de cuivre sur lequel son ami avait gravé un oiseau. Le dessin était très vulgaire. Il représentait avant tout le proverbe que le vieux marchand aimait réciter : mieux vaut être oiseau libre que roi captif.

Soudain, le craquement d'une branche dans son dos l'alerta : quelqu'un l'observait derrière un tronc épais, dissi-mulé sous une peau de loup. Dès que leurs regards se croisèrent, l'inconnu se détourna et, d'une démarche boiteuse, s'enfonça dans la forêt. Aldavir n'osa pas l'appeler – de peur d'aler-ter d'autres bêtes aux crocs aiguisés – mais il n'hésita pas longtemps sur l'attitude à adopter. Danger ou pas, il préférait cette présence plutôt qu'un de ces monstres qui semblaient bel et bien habiter l'épaisse forêt. Seul et désarmé, il ne donnait pas cher de sa peau. Aussi, effrayé mais déterminé, il s'engagea à son tour entre les arbres.

L'inconnu progressait à vive allure.

Aldavir n'en pouvait plus. Non seulement il était frigorifié dans ses vêtements trempés mais, en plus, il n'avait pas l'aisance de celui qui semblait désireux de le semer. Les traces qu'il suivait ne lui laissaient aucun espoir de rattraper leur respon-sable : celui-ci était équipé de courtes raquettes qui l'empêchaient de s'enfoncer dans la neige. À chacun de ses pas, l'autre en faisait plus du double.

Bientôt, le manteau de fourrure disparut entre les arbres. Le cœur battant à tout rompre, il ne ralentit pas sa marche pour autant : au loin, le hurlement d'un loup était autant d'encouragement à ne pas abandonner.

Enfin, alors qu'il s'angoissait de parvenir à le retrouver, il découvrit l'inconnu penché au-dessus d'un petit corps immobile allongé dans la neige.

La fillette avait environ neuf ans. Ses longs cheveux bruns encadraient un visage mutilé : une plaie profonde marquait sa joue gauche. Elle était couverte de sang.

— Je suis vieille, pas sourde ! pesta une voix féminine et âgée. Tu fais plus de bruit que le vent qui souffle dans les branches ! Tu veux nous faire tuer en rameutant tous les démons qui peuplent cette maudite forêt ?

Elle avisa les alentours, puis se concentra de nouveau sur l'enfant.

— J'ai besoin d'aide, implora-t-il.

— Vraiment ? Tu es vivant, d'autres ne peuvent pas en dire autant.

Elle lui lança un regard sévère qui le rendit nerveux. Certes, il avait eu plus de chance que Radulf et Klothilde, mais sa position actuelle n'était pas plus plaisante. Vivant, oui, mais pour combien de temps ?

— Aide-moi à la soulever.

Devant cette invitation inespérée, il s'empressa de la rejoindre.

— Elle... est vivante ?

— Crois-tu que je me risquerais un mal de dos pour un cadavre ? Si tu veux un abri pour la nuit, bouge-toi les fesses et aide-moi à la soulever ! Rad ne t'a donc pas inculqué les bonnes manières?






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