La bête

La rencontre

Erick sorti en trombe du château,sa cousine Elisa sur les talons. Au dehors, le soleil resplendissait,caressant de ses rayons les premières fleurs du printemps. Les deux enfants folâtraient à travers les jardins, puis, quittant les abords du château, finirent leur folle course dans les champs de blés.

_ Ferme les yeux ! cria Erick

La fillette s'exécuta.

_ Maintenant, compte jusqu'à trente et viens me chercher.

Il se mit à courir aussi vite qu'il le pût, accélérant ses enjambées à chaque chiffre qui résonnait, loin derrière. A bout de souffle, il finit par s'arrêter un instant. La brise souffla à son oreille.

_ Touché ! s'exclama Elisa,ravie d'avoir pu le rattraper.

Le jeune prince ne fit pas attention à sa camarade de jeu. Il semblait interloqué.

_ Tu as entendu ? questionna t-il.

_ Entendu quoi ?

Il chercha du regard le sujet de son inquiétude.

_ La voix !

_ Une voix ? Quelle voix ?

Puis elle ajouta, amusée.

_ Ce doit être le vent.

Elle lui toucha à nouveau l'épaule et sprinta à son tour pour échapper à la bête. Erick mit quelques secondes avant de ré-endosser son rôle de loup poursuivant sa proie. Le jeu continua longtemps jusqu'à ce que tous deux furent épuisés. Ils s'allongèrent dans les hautes herbes,scrutant le ciel bleu d'avril. Le vent continuait de siffler, comme un serpent ondulant silencieusement jusqu'à sa victime.

Soit certain, qu'elle se cache non loin d'ici

La source future de tes soucis

Sous son sourire charmeur

Elle suscitera tous tes malheurs

Le prince se releva d'un bond.

_Qu'y a t-il ?

Sans prendre la peine de répondre, le visage grave, il fila en direction du château. A peine avait-il passé la porte d'entrée, qu'il tomba nez à nez avec un attroupement de domestiques. Ils semblaient tous s'affoler autour de quelque chose. Après avoir fendu la petite foule, son attention se porta sur un garçon, à peine plus âgé que lui, trempé des pieds à la tête et tremblant de tous ses membres. Comme Agatha s'approchait d'eux, une immense couverture en laine dans les bras, il l'interrogea du regard. Elle lui expliqua alors que, plus tôt dans l'après-midi, près du village, une diligence avait été prise d'assauts par des bandits et que le garçon était le seul à avoir survécu.

Quand il fût sec et moins apeuré, Erick et Elisa allèrent se présenter. Les premiers jours,il refusa de parler, mais toléra que les deux jeunes gens s'assoient près de lui. Les semaines qui suivirent, ils s'appliquèrent donc à jouer les pitres afin de le faire rire. Il leur fallut beaucoup de temps et de patience avant qu'un sourire ne vienne se dessiner sur sa mine déconfite.

_ Moi, c'est Elisa, dit sa nouvelle camarade de jeu, tout en lui tendant une main amicale. Et lui, c'est le prince Erick, ajouta t-elle en désignant son cousin.

_ Je m'appelle Edmund.

Lui rendant sa poignée de main,le garçon rougit, gêné et ravi à la fois.

_ Dis nous, Edmund, tu connais colin-maillard ? s'empressa de demander la fillette.

L'instant d'après, elle entraînait les deux garçons dans les jardins pour s'adonner à son nouveau jeu favori. Elle banda les yeux d'Erick, et le fit tourner aussi vite qu'une toupie avant de s'élancer avec son nouvel ami. Le vent fit danser les cheveux blonds d'Elisa qui cria avec force.

_ PAR ICI !

Le prince tourna sur lui même plusieurs fois avant de se diriger vers la voix. Un doux zéphyr susurra à son oreille. Quand Erick fût arrivé à leur hauteur,elle lança un regard complice à Edmund et ils s'approchèrent en silence.

_ Un, deux, trois !

De chaque côté de ses joues,un doux baiser vint se poser. L'étrange mélodie siffla dans l'air.

Le sens-tu jeune prince

L'interdit qui vient d'être bravé ?

Ressens-tu la chaleur et la colère ?

Ton cœur commence à se consumer

Cette  irrépressible envie a un goût amer

Que jamais tu ne pourras réprimer