Awake

2. Trompe-l'oeil

"Le corps d'une jeune femme d'une vingtaine d'années a été retrouvé à l'aube par un promeneur à quelques kilomètres de son lieu de travail. Méconnaissable en raison de la chute, le rapport de police pense qu'elle s'est jetée du pont. Le fait qu'il s'agisse d'un suicide semble être le plus probable mais les autorités n'écartent pas l'hypothèse du meurtre. Le rapport du médecin légiste est enco..."

Yoongi buvait lentement un café dans la cuisine de son petit studio quand il entendit pour la première fois l'annonce. Comme très certainement une grande majorité des auditeurs, il n'y prêta qu'une oreille distraite. C'était sans compter sur la douleur lancinante qui lui martelait le crâne. Jeune étudiant, ses préoccupations étaient autres que la mort d'une jeune fille quelconque. Il n'avait que faire des problèmes des autres, lui-même en avait suffisamment. Les yeux dans la vague, il tentait tant bien du mal de se remettre de sa soirée, et malgré les protestations de son estomac, de manger une part de tarte aux pommes. Il s'était promis d'arrêter les excès et les nuits blanches, mais chaque fois, son instinct de chasseur reprenait le dessus et, chaque fois, il le regrettait le lendemain. Au moins, l'alcool engourdissait les sensations, les sentiments et la réalité, même si ce n'était que temporaire. Il devait mener de front ses cours, son emploi à mi-temps chez un disquaire ainsi que ses nombreux abus. Cela ne lui laissait que peu de temps pour dormir, ce qui quelque part l'arrangeait bien.

Il déposa sa tasse dans l'évier, avant de se diriger vers sa chambre. Il ne lui restait que peu de temps avant qu'on vienne le chercher, et il s'était à peine habillé au sortir de sa douche. Il ouvrit en grand son placard et au lieu de s'attarder pendant des heures sur ce qu'il allait mettre, il attrapa le premier col roulé qui lui passa sous la main. Quand il fit coulisser la porte de son armoire pour la refermer, il put voir son reflet ; il passa une main lasse dans ses cheveux blancs. Avec sa peau pâle et ses cernes, on aurait vraiment dit qu'il était malade. Il pinça ses joues affin de les rosir légèrement en forçant un sourire, tentant de se donner meilleure mine, tout en attrapant une paire de lunettes à la monture dorée qu'il appelait souvent "les trompes-l'oeil".

Son téléphone vibra quatre fois, signe que son chauffeur l'attendait en bas de son immeuble. Il enfila son perfecto en cuir, sortit son paquet de cigarettes et se dirigea à grandes enjambées vers l'entrée de son petit appartement. Alors qu'il allait ouvrir la porte, le tube de tabac en bouche, main sur la poignée, une voix l'appela :

- Eh... Oppa?

Yoongi frissonna. Il l'avait oubliée, celle-là. Il détestait qu'on l'appelle par des petits noms. Déjà parce que c'était ridicule, mais aussi parce qu'il avait en horreur ces étrangères qui voulaient se rendre intéressantes. Ça sonnait si faux entre leurs lèvres. Et puis il y avait aussi cet aspect "affectif" qui le répugnait. Ça signifiait s'attacher, avoir des sentiments, et c'est ce qu'il souhaitait avant tout éviter. Sa conquête de la veille le regardait langoureusement, adossée contre le chambranle de la porte de la salle de bain, son corps aux formes voluptueuses enveloppée dans le peignoir de l'homme, la chevelure entourée d'un drap de bain. C'est qu'elle prenait ses aises en plus. En posant un regard vide sur la peau métissée de la jeune femme, la seule pensée qui lui traversa l'esprit était qu'il allait devoir refaire le lit en revenant. Il pesta contre lui-même, puis soupira. Il était tellement perdu dans ses pensées qu'il s'était complètement désintéressé de son coup d'un soir. Encore une qui risquait de devenir envahissante si elle ne dégageait pas. Et tout de suite.

Il revint sur ses pas, approchant son visage de la femme en l'enlaçant, réduisant dangereusement les centimètres qui séparaient leurs deux corps. Il défit doucement le lien qui retenait le vêtement, avant de le faire glisser le long de ses épaules. Il tira ensuite d'un coup sec le tissu qui couvrait les cheveux de la jeune femme avant de jeter le tout en boule sur le canapé, puis ramassa un à un les effets personnels de l'inconnue, les lui balançant dans les bras avant d'ouvrir la porte en l'embarquant avec lui sur le perron.