Nos derniers mots

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La dernière cigarette que je tenais entre mes doigts était la dernière de mon paquet. J'étais fatigué et les poches sous mes yeux étaient aussi voyantes qu'un radar sur la route. Moi, Naeh, fêtais mes vingt-cinq ans aujourd'hui. Mes collègues de bureau avaient fait semblant d'avoir oubliés cette journée qu'est mon anniversaire. Et cet après-midi après le déjeuner, des ballons de baudruches gonflés à pleins poumons et un fraisier m'attendait. Les voix chantantes de ces êtres caressaient mon audition. J'en étais plutôt ému pour être honnête. C'était si inattendu de leur part, eux qui sont d'ordinaire si froid en train de me répéter de finir mainte et mainte fois ce fichu dossier !

Mon appartement est un véritable dépotoir. Rien ne va ! Des fringues, sales et propres, agonisaient sur le sol. Un champ de bataille ou un homme désordonné n'ayant pas même la foi de trier et ranger ? J'aurai pu l'avoir, cette force. Cette foi. Si l'on ne m'avait pas enlevé ma seule force, ma bouteille d'oxygène. 

Lorsque j'ai rencontré Luka, c'était au lycée. Moi, un petit brun chétif ,et lui le beau jeune homme blond aux yeux bleus. Ce qui m'avait frappé en plein cœur lorsque j'ai croisé pour la première fois son regard, c'étaient ses petites tâches de rousseurs sur son nez. Et ses grands yeux bleus resplendissaient. On ne s'était jamais parlés pendant notre première année. On se croisait, on ne parlait même pas.  Notre seconde année. Nous étions dans la même classe.  Lui aimait les filles, moi j'aimais son regard. Un regard gai et vif qui faisait tomber n'importe quelle jeune fille sous son charme ! Un beau charmeur, c'était ma première pensée le concernant. Le temps est passé, et on a finit par se rapprocher. Jusqu'à sortir ensemble.

Ce soir, je me suis décidé à écrire. Pendant le lycée il m'arrivait d'écrire quelques mots. Puis des phrases, des paragraphes et enfin des textes. Un papier tiré de mon bureau avec un stylo à bille classique, j'ai appuyé mon postérieur dans le fond de ma chaise. Il fait si chaud dans cette pièce, c'en est insupportable. Mes mains sont moites et glissantes, j'ai dû les essuyer une bonne vingtaine de fois sur mon t-shirt avant de me lancer. Pourquoi est-ce que je fais ça ? Les morts ne lisent pas les lettres. S'il pouvait la lire, alors... Non. Il ne se passera jamais rien.


"Luka,

Aujourd'hui on est le quinze août. Et comme tu le sais, du moins savait, c'est mon anniversaire. J'ai vingt-cinq ans ! Je vieillis bien mais je grandis pas, je reste fidèle à ce bon mètre soixante-cinq ! À côté de toi, je me demande vraiment de quoi on avait l'air ! Si ça se trouve tu ressemblais plus à mon grand frère qu'à mon petit-ami ! 

Aujourd'hui, cela aurait dû faire huit ans que nous sommes ensembles. On se rapprochait doucement des dix ans, et tu disais toujours que tu avais une surprise pour nos dix ans. J'étais à la fois excité et effrayé ! Tu es vraiment nul pour les surprises. Pour notre premier anniversaire, de nos un an, tu as fait venir un magicien simplement parce que j'avais dit aimer les livres Harry Potter. Ta moue gênée était si mignonne. 

Lorsque tu es parti pour faire parti de l'armée de terre, je t'avoue que j'étais contre cette idée. On s'est beaucoup engueulés là-dessus, et je ne m'excuserai pas pour ce que j'ai pu dire. Aujourd'hui tu n'es plus là. Et ça fera deux ans que tu m'as quitté. En recevant cet avis de décès, j'ai cru que c'était la fin du monde. Tu ne peux imaginer toute la douleur que j'ai ressentie ce jour-la. Avant on cuisinait ensemble de bons petits plats. On faisait la vaisselle et mettait de l'eau partout par terre, on riait fort et dérangeait même les voisins ! La nuit, on dormait ensemble en discutant du lycée, de ma fac et de l'avenir. 

Ce soir, comme tous les soirs depuis, je vais me réchauffer de la nourriture instantanée devant un feuilleton aléatoire. Je vais entendre le tic-tac de la pendule de la cuisine dans mes oreilles. La nourriture aura le goût du désespoir. La vaisselle sera oubliée comme tous les soirs. L'eau par terre est remplacée par de la poussière et un tas de fringue. La nuit j'ai froid et je n'attend que ta présence pour me réchauffer. Après ton départ final, je n'ai jamais envisagé de me remettre avec quelqu'un. Je sais que c'est sûrement mieux que je t'oublie et que je tourne la page. Mais cette page est si lourde. Je me coupe les doigts à chaque fois que je la lève pour la tourner. Elle retombe et je retourne au point de départ.

Mes derniers motsWhere stories live. Discover now