L'avenir pour nous (suite de Un corps de rêve).

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Une aspiration puissante m'a absorbée et, bien que mon âme soit immatérielle, j'expérimentais pour la première fois la douleur.

Une torsion, un déchirement, une compression intense puis une restructuration de mon esprit.

Dans un corps. En chairs, en os. Un vrai corps.

Je me sentais étriquée dans cette enveloppe de tissus humains, la pesanteur - qui agissait désormais sur moi - m'écrasait sur le lit (ou, tout du moins, ce que je supposais être un lit). Chaque organe, chaque veine, chaque cellule qui accueillait ce "moi" m'était étrangère. Mes yeux étaient toujours clos tandis que je cherchais les différents mécanismes qui régissaient ce corps. Tout cela était nouveau pour moi... La sensation de l'air climatisé sur ma peau, de mes membres reposant lourdement sur le matelas, les odeurs d'antiseptiques, de fleurs et de gens autour de moi. Je menais une exploration, une opération de colonisation de ce nouveau "moi". Le sang - mon sang - pulsait dans mes veines, mes artères, mon cœur. J'entendais et ressentais chaque battement qui faisait circuler le liquide si précieux à la vie. Des vibrations aux notes de hauteur variable formaient des sons, qui, ensemble devenaient des mots puis des phrases. J'entendais, je sentais et je ressentais.

J'ai l'ouïe.

J'ai l'odorat.

J'ai le toucher.

Il ne me manquait plus que la vue et le goût pour finir cette découverte des cinq sens. Alors, doucement, j'ai essayé d'ouvrir le rideau qui résistait à ma vue, mais mes paupières - car j'avais des paupières ! - semblaient peser des tonnes. En attente de cette ultime action, je décidais de faire d'autres tests... Lentement, je remuais mes doigts de pieds, un à un. C'était dur et étrange. Les articulations se décoincent avec récalcitrance, mais j'ai commencé à comprendre comment... bouger. Alors, j'ai fait la même chose avec mes doigts, puis j'ai fermé et ouvert mes poings avec de plus en plus de fluidité. J'étais épatée par la réactivité du corps humain... je connaissais la théorie, bien sûr, mais une telle rapidité dans l'exécution des ordres donnés par le cerveau... C'était incroyable. Les voix autour de moi poussent des exclamations étouffées, des "oh", des "ah".

Eh oui, je commençais à me faire désirer ! Comme lors d'une naissance... Le temps de voir le monde était arrivé. Le moment de découvrir l'autre côté de la Goanag était venu. Dans un élan de bravoure, j'ai ouvert simultanément mes deux yeux...

Ah, quelle erreur de débutante ! La lumière a agressé mes pupilles sans une once de pitié. C'est comme ça que j'ai découvert le "papillonnement des yeux", très utile dans mon cas. Après un petit temps d'adaptation, je "voyais". Je "voyais" vraiment. Des couleurs, des formes... des gens...

Une femme aux longs cheveux bruns bouclés me regardait avec des grands yeux remplis d'espoir, elle me caressait la main tout en prononçant doucement mon nom :"Héméra...". Il y avait un homme aussi, sur ma droite. Il tenait mon autre main, ses yeux écarquillés étaient humides, il avait l'air ému... et semblait avoir pleuré. C'est ainsi que j'ai rencontré mes parents : Maria et Carl. Nous avons mis quelques semaines à nous découvrir mutuellement, nous étions des étrangers les uns pour les autres. J'ai fait la connaissance de mes oncles, tantes, cousins, cousines, grands-parents... Ma famille. J'ai appris à marcher - avec d'énormes difficultés ! C'est dur de toujours se stabiliser ! -, à parler, à boire - toutes les eaux ont des goûts différents, c'est très étrange...-, et à manger - les pâtes à la carbonara sont un vrai délice.

Et puis, surtout, j'ai vu le soleil. J'ai vu le jour. Je ne me lasserai jamais de voir cette boule de feu immense se lever et se coucher chaque matin te chaque soir. C'est tout simplement... magique. Voilà, c'est magique, la vie est magique.

Un corps de rêve.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant