La première chose qui frappa l'occupante du module 143 à son réveil fut la lumière, ou plutôt son absence. Elle ne voyait rien, elle n'entendait rien, elle ne ressentait rien, hormis un mal de tête lancinant et la sensation d'un vide terrifiant, comme un gouffre sans fin à la lisière de sa conscience. Elle savait d'instinct qu'elle connaissait tout sur cet endroit : sa fonction, son numéro de module, leur destination, la durée de l'hibernation... mais elle se savait aussi bien incapable de dire quoi que ce soit sur elle-même.
Elle savait que, malgré tous ses efforts, elle n'aurait su dire son nom, son âge, ses motivations, ou même ses goûts. Pourquoi ? Elle n'en avait aucune idée. Elle le savait, c'est tout. Elle n'avait plus aucun souvenir de qui elle était.
Mais, alors que cette situation aurait dû lui inspirer une terreur sans bornes, qu'elle aurait dû pleurer, hurler, frapper contre la porte de métal, elle ressentait au contraire un calme profond, rassurant.
Les tranquillisants, songea-t-elle.
A l'heure actuelle, les milliards de nano-robots injectés dans son corps devaient achever de réparer les dernières cellules de son organisme, détruites par la cryogénisation et répandre dans son flux sanguin toute une gamme de molécules destinées à l'apaiser dans le processus. Peut-être l'amnésie n'était-elle qu'un effet secondaire et temporaire des technologies d'hyper-sommeil, finalement. Après tout, L'Artémis était le premier vaisseau dans son genre.
Ce bijou de technologie de plus d'un kilomètre de long, mû par des systèmes de propulsion dernier cri, devait leur permettre d'atteindre 50 % de la vitesse de la lumière et les porter plus loin qu'aucun humain ne s'était jamais aventuré : sur Prime, à quarante années-lumière de la planète mère. Après quatre-vingt-un ans d'accélération grâce à une voile solaire gonflée par des lasers émis depuis le système solaire et une décélération à l'aide de ses soixante moteurs à antimatière, les cinq mille passagers à bord du vaisseau auraient dû sortir d'hibernation à quelques jours seulement de leur destination. Mais visiblement, rien ne s'était passé comme prévu.
Fort heureusement, la jeune femme recouvrait déjà peu à peu la vue et, bientôt, les ténèbres se dissipèrent, laissant place aux murs de composite sombre de son module d'hyper-sommeil, et, surtout, à son environnement. Mais, lorsque la jeune femme put enfin décrire ce qui se jouait devant ses yeux, celle-ci regretta rapidement d'avoir jamais retrouvé ce sens. C'était une véritable scène d'horreur qui prenait place dans les couloirs de la salle de réveil.
La salle et le module d'en face, sarcophage sombre et opaque de nanotubes de carbone d'où sortaient tuyaux en tout genre, et dont seule la vitre étroite permettait de voir à l'intérieur, étaient éteints. Pourtant, avec la lueur bleutée de son propre module, la jeune femme put distinguer la face tuméfiée de l'homme qui jadis y hibernait. Jadis. Car ce qu'elle avait en face d'elle n'avait plus rien de vivant. Il s'agissait désormais ni plus ni moins d'un cadavre en putréfaction. Dans toutes les autres cuves de la rangée, c'était le même spectacle macabre : lumières éteintes et cadavre en guise d'occupant.
Cette fois-ci, les calmants n'eurent pas le moindre effet et la terreur courut dans ses veines comme un poison. Bientôt, le poison fut à son cœur et celui-ci se mit à battre à toute allure tandis que sa respiration s'accélérait dangereusement. Ses yeux s'embuèrent et en cet instant, la jeune femme sentit que ces images qui s'imprimaient sur ses rétines y resteraient à jamais gravées, et que le temps n'y changerait rien, si tant est qu'il lui en restât beaucoup. Mais elle aurait tout le loisir d'en faire des cauchemars après s'être sortie de cette situation.
Tout à coup, elle fut prise de nausées alors que son oreille interne retrouvait ses fonctions. Elle était en impesanteur. En témoignaient ses cheveux roux, visibles dans son reflet bleuté sur la vitre, qui flottaient au-dessus de sa tête ainsi que cette impression de chute libre perpétuelle et de légèreté qui contrastait avec la gravité de sa situation.
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Second Earth
Science FictionAu début du XXIIe siècle, l'humanité entre dans l'ère spatiale et commence une ruée vers les étoiles. Un siècle plus tard, l'Homme a colonisé toutes les lunes et planètes du système solaire et le monde est scindé en deux. Jupiter, Saturn, Uranus, Ne...