Lorsque le compte à rebours atteignit zéro, la capsule et son occupante furent comme jetées à la mer. Dans sa course folle à travers les ténèbres, Tess put voir l'Artémis dans son entier. Il était éclairé par la naine jaune du système primien. La jeune femme crut rêver. Le vaisseau était transpercé de toutes parts, comme si durant sa longue traversée entre les mondes, il avait livré mille batailles, et il ne restait que trois quarts de l'Anneau où elle avait hiberné ces deux derniers siècles. Il était supposé être leur QG durant la première phase de la colonisation. C'était raté.
Tout à coup, Tess vit comme une étoile filante sortir du vaisseau et s'égarer dans l'espace puis, lorsqu'elle se fût éloignée de quelques centaines de kilomètres, elle explosa avec une violence inouïe mais silencieuse. Le son ne se propageait pas dans l'espace. Mais la lumière, les rayons X, les rayons gamma, les neutrons et autres particules de haute énergie n'avaient pas ce problème. Ces rayonnements durs furent suffisants pour vaporiser la surface de la capsule de Tess, ce qui la propulsa en arrière par action-réaction. Mais plus important, ils furent plus qu'assez énergétiques pour lui brûler les yeux, le visage et la peau, mais aussi pour lui administrer une dose létale de rayonnements ionisants. Le dosimètre de la capsule - un appareil qui mesure la quantité de rayonnements dangereux - crépitait comme jamais et affichait des valeurs hors limite, effroyables. La douleur était insoutenable et elle fut sur le point de perdre connaissance. Elle n'attendait que cela. Mais son esprit et ses sens demeurèrent plus en éveil que jamais. Heureusement, les nano-robots s'affairèrent immédiatement pour réparer ses cornées et sa peau gravement brûlée par les radiations. La douleur s'estompa et elle retrouva rapidement la vue.
Quand elle ouvrit à nouveau les yeux, la première chose qu'elle vit fut le vaisseau. Les radiations ne l'avaient pas affecté. Sa constitution semblable à celle des vaisseaux de guerre de l'Union des Planètes Gazeuses était bien assez robuste pour résister à des radiations de cette intensité. Puis elle se souvint que sa capsule n'avait pas cet avantage et s'empressa de lancer un diagnostic des systèmes. Certains systèmes étaient endommagés mais les systèmes majeurs étaient en état de marche. Notamment la propulsion.
Quelques secondes plus tard, un nouveau compte à rebours se mit en marche. La capsule allait faire une rentrée atmosphérique. Quand il atteignit zéro, les propulseurs chimiques se mirent en marche et Tess pesa trois cents kilos. Au même moment, une myriade de comètes apparurent autour d'elle alors que les autres capsules allumaient leurs moteurs, zébrant l'espace à toute allure. Elle faillit céder à la panique en se souvenant de ce que lui avait fait la dernière "étoile filante". Mais cette pensée fut bientôt éclipsée par une autre, plus puissante.
Peut-être y a-t-il d'autres survivants ? songea Tess avec espoir.
Alors que son caisson d'hyper-sommeil commençait à crever la stratosphère, la température commença à grimper dans la capsule et des flammes apparurent dans son champ de vision. Mais elle n'était pas inquiète. L'humanité était entrée dans l'ère spatiale depuis plus de deux siècles (quatre désormais) et les rentrées atmosphériques étaient routinières. Bien qu'elle fût ballottée de tous les côtés et que sa respiration devenait hachée et laborieuse, son cœur était dominé par l'excitation. Dans quelques minutes, ces flammes disparaîtraient et elle pourrait voir Prime, ce monde dont elle avait tant rêvé depuis sa plus tendre enfance. Les scientifiques établis sur Neptune l'avaient découverte quand elle avait dix ans grâce au Grand Œil, un tout nouveau télescope dernier cri. Ils avaient dû utiliser le Soleil tout entier comme lentille gravitationnelle pour confirmer son potentiel. On l'avait alors nommée Prime car c'était la première. Les scientifiques de Neptune avaient alors demandé la construction de l'Artémis au conseil de l'UPG pour l'explorer. Le chantier prit vingt ans et fut non seulement la plus grande prouesse technologique de l'humanité mais aussi la seule fois où l'Alliance des Planètes Rocheuses collabora avec l'UPG autrement que par pure dépendance économique. Habituellement, l'UPG fournissait l'Hélium 3 - présent dans les géantes gazeuses - nécessaire à la propulsion des vaisseaux et l'Alliance des Planètes Rocheuses les échangeait contre les métaux essentiels à la construction et à l'entretient des habitats spatiaux de l'UPG. Mais la collaboration s'arrêtait là et il régnait comme une atmosphère de guerre froide entre les deux blocs. L'Artémis fut le premier ouvrage à outrepasser les tensions. Son mode de propulsion à antimatière était par ailleurs par nature hors du monde et de ses conflits. C'était ce qui avait poussé Tess à faire partie du projet. Jamais elle ne s'était à ce point donnée pour quelque chose. Toutes ces années d'études, ces années de dure labeur, tous ces défis, tout cela devait l'amener ici. Dommage qu'un si beau voyage s'achève dans le sang et les larmes. Au moins, elle pourrait mourir en sachant son rêve réalisé.
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Second Earth
Science FictionAu début du XXIIe siècle, l'humanité entre dans l'ère spatiale et commence une ruée vers les étoiles. Un siècle plus tard, l'Homme a colonisé toutes les lunes et planètes du système solaire et le monde est scindé en deux. Jupiter, Saturn, Uranus, Ne...