Les mots

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La Lune faisait courir sa lumière sur les plaines au-dessous d'elle. Elle regardait les hautes herbes qui se dressaient fièrement dans sa direction, les champs alignés silencieusement en rang serrés et les quelques oiseaux, volant sous sa lumière, qui lui adressaient un cri perçant le calme de la nuit.

Son regard continua vers le canyon, un tout autre relief, qui offrait une beauté aussi grande que sa profondeur. Sa blancheur éclatante regardait avec respect les tons d'orange et de brun qui se perdaient dans l'abîme. Elle admirait chaque soir les reflets que créaient sa lumière sur le canyon.

Ce soir là, une ombre attira son attention. Une silhouette humaine se tenait au sommet du relief, près du bord. 

Ni elle ni lui, sa posture était droite et ses yeux se perdaient dans l'horizon.

Iel regardait l'horizon, sans le voir. Ses yeux regardaient ailleurs.

Iel regardait leur art. Leurs passions. Leurs messages.

Iel regardait les autres, qui créaient de leurs passions, de leurs peurs, un art, et quel art ! Celui qui vous transcende de frissons, de plaisir et de satisfaction, face à quelque chose d'inconnu, de nouveau, qui nous séduits.

Iel regardait tout cela.

Les couleurs,

les formes,

les sensations.

Et se disait : « je ne suis pas capable de faire cela. »

Toute cette beauté passait devant ses yeux, faisant frissonner son âme en quête de sensations.

Mais quand tout cela partait, iel ne ressentait plus rien.

Plus de formes.

Plus de couleurs.

Plus de frissons.

Rien que le vide.

Ce n'était pas faute d'avoir essayé de les créer, ces formes, ces couleurs et ces sensations.

Sans succès. 

Alors que tout semblait simple pour les autres, iel ne put créer dans le vide qui l'emplissait. Alors, iel s'enfonça encore plus dans son vide intérieur et plongea dans un abîme de gris fade et sans saveur.

Iel resta longtemps dans ce gris; et iel s'y enfonça si profondément qu'iel n'arrivait plus à ressentir l'art de ceux qu'il regardait.

Son monde était devenu gris. Infiniment gris.









Et puis un jour.









Et puis, un jour, le distributeur de mots se manifesta.

Il transportait avec lui une énorme boîte, fumante et grinçante, de laquelle s'échappait parfois des mots de toutes sortes : longs, courts, colorés, parfois très tristes et même certains qui portaient plusieurs casquettes.

Il se baladait simplement, comme il en avait l'habitude, à travers les foules, pour rencontrer des gens. La plupart ne le remarquait pas : ils étaient déjà tous remplis de mots, de leur propre création, mais aussi de ceux des autres, formant un nuage opaque de caractères entremêlés.

Il ne s'en offusquait pas : tant mieux si leurs mots les rendaient heureux, c'était tout ce qu'il voulait pour chacun d'entre eux. 

Et, après tout, il n'était pas là pour eux. Lui, il venait aider ceux qui avaient perdus leurs mots. 

Il sortit des sentiers battus, s'aventura là où personne n'allait jeter un œil, car il savait que c'était là que se cachaient ceux qui se sentaient perdus.

5 words 1 worldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant