Je suis devant la foule, il fait chaud, j'ai du mal à respirer, les gens hurlent, crachent, pleurent, jettent des légumes pourris dans ma direction. Je suis en hauteur sur l'estrade, je peux voir les hommes, les femmes, les enfants, ils sont venus nombreux pour le spectacle, derrière moi des hommes armés sont là pour ma sécurité, je n'ai pas peur, depuis tout petit j'ai l'habitude de cette agitation, cette ferveur, cette haine. Aujourd'hui une fois de plus j'ai rendez-vous avec la mort, c'est ma patronne, je dois lui rendre des comptes régulièrement.
Dans la famille on est bourreau de père en fils, à l'âge de cinq ans je coupais ma première tête, une poule, elle s'était débattue avec l'énergie du désespoir mais une fois sur le dos calée sous mon aisselle elle s'était tétanisée comme résolue à mourir, c'était son destin et je le tenais au bout de ma hachette. Quand sa petite tête roula au sol je ressentis un sentiment de toute puissance, je levais la tête et vis le regard fier de mon père, ma mère quant à elle avait les yeux humides, elle prétexta une poussière dans les yeux mais elle venait de voir s'envoler l'innocence de son petit garçon, il allait devenir au fil des voyages et des exécutions, un homme, un tueur.Par chance la nature m'avait avantagée, de grande taille j'avais les épaules robustes et mes jambes étaient athlétiques. Il faut dire que le métier de bourreau n'est pas de tout repos, une condition physique est indispensable, tous les matins avant de petit déjeuner j'allais courir, je finissais par quelques pompes et flexions. Mes boucles blondes, ma peau brunie par le soleil et mes yeux bleus clairs auraient pu me donner l'apparence d'un ange si je n'avais pas eu cette cicatrice sur tout le côté gauche, souvenir d'une rencontre avec un cheval un peu fougueux. Étant itinérant je ne m'attachais jamais ni aux lieux ni aux gens, mon métier n'ayant pas bonne réputation je devais le dissimuler, dans chaque ville ou village visité j'étais un simple forgeron, et ma couverture semblait efficace, personne ne se demandait pourquoi je pénétrais dans les prisons avec beaucoup de matériel, en vérité une fois la première porte passée j'enfilais ma tenue de travail, un masque intégral en cuir me recouvrait le visage ainsi que mes cheveux et pour me préserver des taches de sang je passais un tablier lui aussi en cuir noir.
Mon père m'avait tout appris, toutes les techniques de mises à mort possibles, mais il y avait aussi la torture, le corps humain et son système nerveux était un terrain de jeu sans fin, mais attention il fallait savoir doser son effort pour avoir les résultats attendus, une incision trop profonde ou trop près d'une artère et c'était la mort assurée, j'avais des consignes strictes pour chaque homme ou femme qui passaient entre mes mains. Je ne prenais pas particulièrement plaisir a torturer mais j'étais fasciné par le corps humain et sa complexité. Ce qui me plaisait le moins c'était d'arracher les dents, c'était toujours compliqué car le prisonnier était rarement coopératif. Moi ce que je préférais c'était les exécutions, pendaison, guillotine, épée, hache, bûcher, chacun avait son charme.
Début juin 1789 je fus appelé à la Capitale, il y avait beaucoup d'agitation dans la ville, le peuple était en colère, le Roi Louis XVI n'était pas serein et les traitres à la couronne étaient nombreux, sentant le vent tourner ils voulaient surement sauver leurs peaux, peine perdue, mon travail consistait essentiellement à leur enlever pour qu'ils avouent et donnent le nom de leurs complices.
Après un mois de tortures en tous genres et d'exécutions privées dans la cours de la Bastille, je décidais de prendre un peu de repos. J'aimais me balader dans les rues de Paris même si l'air n'y était pas très respirable, les odeurs de poissons, de crottins de cheval et surtout de pots de chambre saturaient l'air ambiant, mais ce que j'aimais le plus c'était les parisiennes, ses petits bouts de femmes au caractère bien trempé, un feu brulait dans leurs yeux, je croisais souvent des groupes composé de femmes de moins de 25 ans et de plus de 50 ans, celles qui avaient la trentaine s'occupaient de leurs enfants et n'avaient pas le loisirs de prendre part aux revendications féministes du moment.Elle était là, le regard fuyant, essayant de dissimuler son visage avec sa cape, je remarquais tout de suite la couleur de ses cheveux, ils étaient couleur d'automne avec une touche de feu sur quelques mèches, un chignon les retenaient mais deux grosses mèches bouclées entouraient son visage d'une blancheur diaphane. Je décidais de la suivre et pour la première fois je sentis mon rythme cardiaque s'accélérer juste en la regardant. Je devais en savoir plus sur elle et pourquoi pas réussir à lui parler.
VOUS LISEZ
Petite histoire dans la grande...
RomanceUne histoire d'amour impossible entre une prisonnière et son bourreau en 1789...