Chapitre premier

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1909

Cigarette au bout des lèvres, appuyée au rebord de mon balcon, je regardais de haut la vie parisienne pressée, où rien ne semblait pouvoir attendre ou être simplement remis à plus tard. Tout le monde avait l'air d'être en retard, alors qu'ils étaient tous en avance par peur de ne pas être à l'heure.
Je jetai un coup d'oeil à mon poignet; ma montre affichait 15h45, et il était déjà l'heure de mon rendez-vous avec Hélène. Elle m'attendait sûrement déjà depuis dix bonnes minutes sur le trottoir, avec impatience. Comme à chaque fois, elle allait me faire la morale à propos de l'importance de la ponctualité, et je ferai semblant d'écouter et de prendre en compte ses remarques.

Après avoir fini de fumer, j'enfilai mon long manteau bleu et fermai la porte de l'appartement derrière moi.
Une fois dehors, j'ouvris mon parapluie, et marchai d'un pas tranquille. En chemin, mon attention se porta sur un homme assis sur le dossier d'un banc au bord de la Seine. Il était sûrement plus jeune que moi de quelques années, ses vêtements paraissaient usés et plutôt sales. Il avait la tête baissée et ses cheveux blonds tombaient sur son front. Il dessinait au crayon, relevait la tête très régulièrement en direction des bâtiments d'en face, et venait rectifier son dessin. Qu'est-ce-qui pouvait bien être une source d'inspiration pour lui, dans cette ville monotone ? Je n'avais pas pus voir son visage, mais rien que ce que j'avais pus observé m'avait intrigué.

Lorsque j'arrivai, Hélène m'attendait devant la vitrine, et me regarda d'un air exaspéré, sourcils froncés, en roulant des yeux.

"Vous êtes en retard ! Comme à votre habitude ! s'écria-t-elle

- Vous devriez commencer à me connaître avec le temps, et arriver avec au moins 10 minutes de retard, toi aussi.

- Comment voulez-vous trouver un mari avec une attitude aussi enfantine ?

- Je n'ai aucune envie de me marier, réctifai-je en ouvrant la porte du café, je n'ai même pas 23 ans.

- À votre âge, presque toutes les jeunes filles sont déjà mariée, et ont même pour beaucoup commencé à endosser leur rôle de femme, en fondant une famille.

- Je n'ai aucun rôle à endosser, j'ai seulement à jouer celui d'être moi-même. Je suis jeune et mes ovules sont encore très bien conservés, ne vous en faites pas pour cela. Et puis, il ne me semble pas que vous ayez un mari, vous ?

- Je dois vous avouer quelque chose à ce sujet. C'est pour cela que je vous ai fais venir, dit-elle en s'asseyant àune table, vous ne devinerez jamais.

- Vous vous êtes fiancé, cela m'a l'air plutôt clair. En plus de cela, vous portez une nouvelle bague.

- Vous avez vu juste. Le cadet de la famille Chevalier, les maroquiniers.

- Ils ont de l'argent, remarquai-je.

- Ils sont aisés, comme notre famille.

- Dites moi Hélène, vous l'avez déjà rencontré, j'espère ?

- Pas encore, j'ai reçu sa bague par courrier.

- Par courrier ? Et vous ne l'avez jamais vu ?

- On m'a dit que c'était un garçon charmant et très élégant, affirma-t-elle.

- Je n'en doute pas. Quel âge a-t-il ?

- Tout juste 31 ans.

- Tout juste 10 ans d'écart avec vous. Quand aura lieu ce mariage ?

- Il est prévu pour l'année prochaine, au printemps.

- Vous avez donc une année pour le rencontrer et vous faire un avis par vous-même sur son charme et son élégance, avant de lui jurer aveuglement fidélité pour le restant de vos jours."

Nous buvions notre café et discutions de la famille Chevalier, dont Hélène comptait bientôt faire parti, lorsque la porte du café s'ouvrit. Elle s'était ouverte plusieurs fois depuis notre arrivée, mais cette fois-ci, cela m'interpella.
Je détournais donc le regard, vers le bar, tasse à la main, puis le vit. Ce jeune homme qui m'avait tant intrigué sur le chemin. Il s'installa sur une chaise au comptoir, et demanda quelque chose au serveur, en passant sa main dans ses cheveux.
Je ne pouvais m'empêcher de jeter des coups d'oeil en sa direction, et ce, jusqu'à la fin de ma conversation avec Hélène.
Je pris mon porte-monnaie et me dirigea vers le bar afin de payer nos cafés. Tout en m'adressant au serveur, je senti un regard se poser sur moi.

"Vous feriez un excellent modèle, dit-il avec un léger accent américain

- Moi ? répondis-je en esquissant un sourire

- Oui, vous.

- Pourquoi dites-vous cela ?

- Vos cheveux bruns à mi-longueur, votre teint pâle et délicat, vos joues rosées, vos lèvres rouges, votre french beauty.

- Ma "french beauty" ?

- Vous savez, cette élégance à la française dont on parle tant. Vous l'avez.

- Ce sont vos dessins ? demandais-je en montrant la pochette marron posé sur le comptoir devant lui

- Vous voulez lez voir ?

- Avec grand plaisir."

Il ouvrit sa pochette et en sortit des un tas de feuilles, qui représentaient différentes personnes; il y avait des femmes, des hommes, des enfants. Pourtant, je ne vis pas un seul dessin qui me semblait être celui qu'il faisait tout à l'heure. D'ailleurs, je ne vis aucun paysage, mais uniquement des personnes.

"Je vous ai vu, au bord de la Seine, en venant ici. Lequel d'entre eux faisiez-vous ?

- Lui, me dit-il en désignant le portait d'un couple assis sur un banc.

- J'aurais pensé que vous dessiniez le paysage parisien, la Seine et les immeubles du style Louis-Philippe.

- Paris est une belle ville, certes, mais ce qui m'inspire ici, ce sont surtout les gens. Chacun semble apporter une touche unique à ce paysage, dont vous parlez. Chaque personne est intéressante en France et ailleurs aussi, mais particulièrement ici, de mon humble avis. Certaines personnes le sont bien plus que d'autres, évidement. Comme vous, par exemple, vous vous démarquez.

- Alors, qu'avait-il de spécial, ce couple ?

- Ils devaient avoir plus de soixante ans se regardaient pourtant très amoureusement. C'est rare, de garder une telle passion. Et cela m'impressionne.

- Vous êtes un sentimental, ricanai-je.

- Un passionné, rectifia-t-il.

- Comment aimeriez-vous me dessiner ?

- Comme cette fille-ci, répondit-il en désignant une autre de ses œuvres, qui représentait une femme, entièrement dénudée.

- Vous voulez dire, exactement comme cette fille ?

- Pas de la même manière, évidement. Si je vous dessinais, vous auriez un air de femme forte qu'elle n'a pas. Elle, elle semble plutôt niaise, plus douce.

- Ce n'est pas vraiment ce dont je parlais.

- J'aimerais que vous soyez nue, c'est exact. Sans aucun tissus sur le corps. Simplement vous, et votre french beauty. Le corps de la femme est un art et il n'y a rien de vulgaire là-dedans.

- Vous admettrez que c'est une proposition peu ordinaire.

- Vous devriez y réfléchir.

- Où vivez-vous ? Habitez-vous sur Paris ?

- Je suis un vagabon, je n'habite nul part et partout à la fois. Cela fait quelques mois que je suis sur Paris, mais je serai peut-être dans un mois en Angleterre, ou bien de retour aux États-Unis. Mais si vous me cherchez, ces prochains jours, vous me trouverez bien, je suis dans ce bar presque tous les après-midi.

- Alors, je viendrais vous voir bientôt, dis-je en partant rejoindre Hélène.

- J'ai hâte de vous revoir. Et hâte que vous me donniez votre décision."

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 26, 2020 ⏰

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I Was One Of His French GirlsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant