Il fait nuit noire lorsque je suis réveillé par Élise. Elle me secoue brutalement par l'épaule, et me souffle une phrase que je ne comprends pas. Je suis totalement désorienté, aveuglé par les ténèbres profondes qui inondent la pièce. Mon esprit refait lentement surface : la nouvelle maison. Nous sommes dans la nouvelle maison.
Je n'essaie même pas d'atteindre la lampe de chevet ou de regarder l'heure sur mon réveil. Il n'y a toujours pas l'électricité. Le corps ankylosé, l'esprit engourdi, je peine à sortir de la stupéfiante torpeur de mon sommeil. Je fixe la fenêtre en face du lit en clignant bêtement des yeux : un orage spectaculaire secoue la forêt de pins qui entoure la maison. Le ciel gronde et explose, fendu par de grandes lignes éblouissantes, tandis que la pluie monte inlassablement à l'assaut de la fenêtre de notre chambre.
Je me redresse péniblement, et j'attends que mes yeux s'habituent à l'obscurité – avant d'être ébloui par un éclair trop proche qui déchire le ciel et projette les ombres des conifères sur la façade de la vieille bâtisse. Élise enfonce ses ongles dans mon bras.
— Quelqu'un frappe à la porte, chuchote-t-elle d'une voix faible. Le regard toujours fixé sur la fenêtre, je tend l'oreille.
— Tu es sûre que c'est pas l'orage ?
— Non, quelqu'un frappe à la porte.
— On est en pleine forêt, Élise. Pourquoi quelqu'un viendrait toquer à notre porte en pleine nuit ?
— Quelqu'un frappe à la porte, tu devrais aller voir, dit-elle d'une voix enrouée.
Je sors du lit en grognant, et m'avance à la fenêtre. Sur le perron en pierre usé en dessous de moi, je distingue effectivement une silhouette ramassée, assaillie par la pluie, qui cogne avec force désespoir sur la porte d'entrée.
Cette vision étrange achève de me réveiller. Intrigué, je traverse la chambre à tâtons pour me rendre au rez-de-chaussée et tirer cette histoire au clair, un début de malaise naissant au creux du ventre.
— Prends ton portable, tiens-toi prête à appeler les secours, dis-je à Élise, restée blottie sous les draps.
Je navigue maladroitement dans le petit couloir menant à l'escalier, dérouté entre ces murs inconnus. Alors que je descends gauchement les marches grinçantes, je vois notre chatte longer le mur du salon, queue baissée – elle aussi sans repères dans ce nouvel environnement particulièrement bruyant. Les cris indistincts de l'inconnu, accompagné de tambourinements frénétiques sur la porte, redoublent soudain d'intensité. La chatte surprise serpente rapidement entre les meubles jusqu'à se fondre dans les ombres opaques.
Une fois dans la salle de séjour, j'esquive prudemment les cartons empilés. Sur la table repose la caisse à outils. Je la fouille, cherchant de quoi me défendre. Je soupèse un marteau, et convaincu par ce dernier, je m'avance dans l'entrée.
Derrière la porte se tient une femme en pleurs. Désemparé, je pose une main sur la poignée, l'autre se resserre autour du marteau. Je déverrouille lentement la serrure, et tandis que je m'apprête à tirer la porte, celle-ci s'ouvre à la volée et me percute de plein fouet.
La femme se précipite comme une furie à l'intérieur. Le vent et la pluie en profitent pour s'engouffrer à sa suite dans la maison. Elle se jette sur moi dans un cri de désespoir. Je suis aveuglé par le sang chaud qui coule de mon arcade ouverte, la douleur me vrille le visage et la panique laboure mes entrailles ; je mouline aléatoirement l'air avec le marteau.
Au bout de quelques secondes, l'outil percute quelque chose avec un bruit mou ; la femme hurle mon nom d'une voix aussi déchirante que familière. Je me fige, troublé. Elle se tient l'épaule, au sol, vulnérable et détrempée. Elle prononce une nouvelle fois mon nom en geignant, tandis que je m'essuie tant bien que mal le visage.
— Elle m'a attiré à l'extérieur ! Tu ne te réveillais pas, alors j'y suis allée et elle m'a jetée dehors ! Ça fait un quart d'heure que j'essaie de te prévenir, elle est dans la maison ! me hurle Élise.
Un feulement terrible me fait sursauter : Bastet, masse sombre au yeux d'or, regarde fixement l'escalier en grognant, depuis le dessous du buffet où elle a trouvé refuge. Derrière nous, dans les ténèbres insondables et le tumulte ambiant, les marches craquent doucement.
