C'était un jour de pluie qu'il l'avait rencontré.Il était ce petit garçon immobile sous les rafales d'eau, sans parapluie ni rien de bien chaud sur lui pour le protéger. Il semblait cassé, inconscient de ce qu'il faisait là, mais il restait tout de même debout.
Le ciel était sans pitié avec Keith qui venait déjà de subir une première tempête dans son cœur : son père était mort.
Il s'était échappé des bras de l'assistante sociale, une vraie empotée. Heureusement qu'elle portait des talons hauts, sinon il n'aurait pas pu s'enfuir si loin d'elle. Mais à quoi bon cela servait-il ? Il se noyait dans sa douleur en tentant de laver sa peine sous la pluie. Ce n'était pas aussi efficace que la machine à laver.
Brusquement, Keith avait pensé à se dissoudre lui-même sous la pluie, à disparaître. Pour effacer sa peine quoi de mieux que de s'effacer tout entier ? Certes c'était avec des pensées d'enfant qu'il y avait songé, mais il y avait pensé tout de même.
Et alors qu'il restait seul et sans bouger dans sa bulle de désespoir, il sentit un doux et chaud tissu recouvrir ses épaules.
Surpris par ce contact, il remarqua alors à côté de lui un autre petit garçon. Il avait avec lui un grand parapluie rouge, si grand que l'enfant peinait à le tenir droit et ne cessait de le redresser.
Keith toucha la veste que lui avait supposément donné l'enfant. Rouge vif, elle aussi était bien trop grande pour un petit être de leur âge. Elle devait appartenir à un adulte et était curieusement bien assortie avec le parapluie.
" Pourquoi tu restes là ?" demanda l'enfant à Keith.
Keith ne savait pas. Pourquoi ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? Il s'était juste arrêté de courir et était resté, le regard perdu, là. Et pas ailleurs. Devant la caserne de pompier. Alors Keith ne trouva rien d'autre à répondre que ceci :
" J'attends mon papa.
- Il t'a pas prêté de parapluie ton papa ? Demanda innocemment l'autre petit.
- Non.
- Je vais attendre avec toi alors. Sinon tu vas attraper le froid. Et maman dit qu'il ne faut pas attraper le froid, parce qu'après atchoum ! "
Keith ne savait quoi penser de ce garçonnet au teint mate. Il était un peu comme une apparition spectaculaire; étrange et irréelle. C'était comme une image qui risquait de s'effacer et de disparaître. Comme l'image de son père dans sa mémoire.
Et ils restèrent à regarder le bâtiment devant eux sans plus un mot.
Ce moment dura longtemps. Ce n'était qu'un instant dans leur vie, qu'une seconde dans l'éternité, mais c'était important.
Keith, protégé par la grande veste et le parapluie rouge toujours tenu par le petit enfant, attendait son père.
Et seulement en cet instant, il s'était permis d'y croire un peu.
C'est alors qu'on entendit au loin des cris d'adultes.
" Ah, sembla se rappeler l'enfant. Je crois que c'est moi qu'ils cherchent. Je dois rejoindre la classe."
Ça attristait un peu Keith de devoir le quitter. L'enfant remarqua la mine sombre de Keith et sourit :
" Comme on va pas se revoir avant longtemps, je te donne la veste de mon papa. En souvenir. Par contre il faut que je garde la parapluie, parce qu'elle est à maman."
Keith tiqua :
" On dit " le" parapluie.
- Non non, s'obstina le bambin. Je suis sûr qu'on dit "la". C'est plus joli d'abord."
Keith n'insista pas. C'était vrai que c'était plus joli.
L'enfant partit en courant comme ses petites jambes le lui permettaient. Sa silhouette instable à cause du grand parapluie rouge s'estompa progressivement. Keith ne le vit bientôt plus ni n'entendit non plus le clapotis de ses bottes sur les dalles mouillées. Il renifla et se mis à sangloter.
Il se retourna et se mit en chemin. Il fallait retrouver la dame au talons hauts.
Depuis qu'il l'avait rencontré en ce jour de pluie, Keith prenait un plaisir secret à nommer les parapluies rouges au féminin. Mais seulement les rouges. Et lorsqu'il en voyait un, il pensait au mystérieux petit garçon qui lui avait donné cette veste qu'il ne quittait plus.
Comme une coincidence, le vêtement allait maintenant parfaitement à Keith. Il fallait dire qu'il avait bien grandit depuis.
Lycéen brillant, bientôt majeur et qui quitterai donc sa famille d'accueil pour de bon, accro aux chips aux algues (qu'est ce que c'était délicieux ces cochonneries), ado à la coupe ringarde : il savait bien que le mullet n'était plus à la mode depuis longtemps, mais c'était un peu grâce à cette étrangeté que portait son père à l'époque, que sa mère avait craqué pour son géniteur. Alors il y tenait un peu. Et puis il savait bien que certaines filles ne trouvaient pas ça si mal.
Mais ce que les filles pensaient il s'en fichait. Cette affirmation aussi prouvait que Keith avait bien grandit : il savait ce qu'il était, et ce qui l'attirait.
Un autre élément montrait également la page qui avait été tournée : le deuil de son père. Bien sûr qu'il n'avait pas oublié, mais il n'était plus aussi triste. Et puis le visage souriant de son père n'était jamais parti de son esprit, alors c'était une façon de l'avoir auprès de lui.
Cependant, il y avait une tâche dans le quotidien de Keith. Il ne parvenait pas à se souvenir du visage du petit garçon. Il se rappelait bien de sa couleur de peau, un beau brun caféiné. Mais il ne savait retracer les traits de son visage. Et avoir oublié le rendait malade.
Dès qu'il pleuvait, Keith était attiré dehors par un force inconnue. Il enfilait sa veste, qui portait une étiquette marquée du nom "Mc Clain", et se mettait en quête de parapluies rouges.
C'était ridicule, il le savait bien. Les parapluies se cassent, s'usent et se dégradent. Ils se prêtent aussi, on peut les oublier chez un ami et puis décider de leur céder. Et de plus, quelles étaient les chances que ce parapluie là se retrouve un jour dans cette ville ? Sûrement aucune.
Mais voilà, un de ces jours où tombait la pluie, Keith suivait encore un parapluie rouge. D'habitude il allait voir qui se cachait en dessous. Au cas où. Mais aujourd'hui il avait abandonné. Ses efforts étaient vains, il s'épuisait pour rien. Mais il profitait une dernière fois, un dernier instant, de pouvoir suivre le parapluie en se permettant d'y croire un peu. Juste encore un peu.
Il regretta de ne pas avoir pu remercier ce garçon de lui avoir sauvé la vie ce jour là. Pour la veste aussi. Pour la parapluie rouge. Pour tout.
Il s'arrêta. Regarda partir la personne inconnue qui tenait avec elle l'incarnation de son espoir. Il revoyait partir le petit garçon vacillant. Revivre cette scène l'obligea à laisser couler une larme de pluie.
Mais alors qu'il allait se retourner, la personne trébucha et s'étala sur le trottoir. Elle était loin, et puis Keith avait déjà dit au revoir à ce qu'elle représentait. Mais il accouru pour l'aider.
Des pommes avaient roulé, déversées d'un sac de courses. Keith arriva à hauteur de l'inconnu et s'empressa de ramasser les fruits rougissants. Il les rangea dans le sac échoué qu'il rempli en un clin d'œil. Il le tendit à la personne toujours à terre en demandant :
" Vous allez bien ?"
Et tout survint très vite. La main couleur café qui attrapa le sac, les regards qui se rencontrent et qui se reconnaissent et enfin l'exclamation du beau jeune homme :
" Cette veste..."
Il avait suffit d'une chance
Parce que Lance avait bien dit qu'ils ne se reverraient pas avant longtemps. Mais qu'ils se reverraient, ça il n'en avait jamais douté.
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La parapluie
FanfictionKlance One Shot Oui vous lisez bien "la" parapluie C'est l'histoire de leur rencontre, un jour de pluie, sous un grand parapluie rouge Histoire corrigée Warning: Mention de décès, notions de suicide