Il faisait plutôt froid, et de manière générale, la salle était relativement sombre. Si toutefois, on pouvait appeler l'endroit où elle se trouvait une salle. C'était grand, c'était vide, et pour l'avoir parcourue pendant tout le temps qu'elle avait passé ici, et qui mine de rien commençait a être long, Sélène ne pouvait pas dire que c'était vraiment une salle.
L'espace, donc, était grand, vide et froid. C'était à peu de choses près la représentation qu'elle se faisait de la mort, du temps où elle était encore vivante. Elle ne pensait juste pas que c'était si triste et si dénué d'intérêt.
Non pas que Sélène fusse en train de se plaindre, pas du tout. Elle était morte, et elle était très contente de rester morte. La vie sur Terre, elle en avait suffisamment soupé et elle n'en voulait plus. Rester dans cet espace vide et morne, où elle s'ennuyait mortellement lui convenait parfaitement.
C'était le deal, après tout. Une fois morte, Sélène devait le rester.
Mine de rien, c'était plus compliqué à faire, qu'a dire. Pour que Sélène soit à jamais en repos dans l'au-delà, il fallait qu'au moins une personne, une seule petite et insignifiante personne sur toute cette Terre se souvienne de son nom, et de son existence. Un unique être qui cultivait son souvenir, et elle était sauvée de l'enfer qu'était la réincarnation des âmes.
Revenir sur Terre, des millénaires après sa disparition, pour réaliser que le monde tournait sacrément vite et devoir tout réapprendre, et supporter le poids des souvenirs de sa première existence n'avait rien de plaisant, et la première vie de Sélène avait été si dure, tellement emplie d'embuches, d'épreuves et de traumatismes que pour rien au monde elle ne voudrait remettre le couvert.
Sélène était morte, depuis longtemps. Elle avait rapidement arrêté d'essayer d'évaluer le temps, dans cette dimension où rien ne marque l'évolution de jours, et où l'idée même du temps qui passe n'a plus sa place.
Elle était là, et elle attendait. Peut-être que quelqu'un la rejoindrait, un jour. Est-ce que tous les morts étaient dans de grandes salles vides et noires comme la sienne ?
Ne rien faire ne la dérangeait pas particulièrement. Elle n'attendait même pas que le temps passe, elle était juste là, sans vraiment exister.
Sélène avait l'impression d'être morte il y a si longtemps, et elle ne pouvait s'empêcher de saluer la ténacité de Raziel.
Malgré tout ce temps passé séparées, Raziel continuait de célébrer la mémoire de son amante, pour lui éviter de devoir se réincarner.
C'était un acte d'amour assez extraordinaire de la part de Raziel que de continuer a se souvenir de Sélène aussi longtemps après sa mort. Mais elle avait promis.
Raziel avait promis à Sélène qu'elle ne l'oublierait jamais.
« Tu finiras par m'oublier, trésor. Tu verras. », lui avait dit Sélène, étendu sur le dos, nue dans les draps noirs de leur chambre.
Raziel avait exhalé la fumée de sa cigarette, et s'était tournée sur le ventre, dessinant des arabesques sur le ventre de sa compagne.
« Comment pourrais je t'oublier ? La mort elle-même ne sera même pas suffisante pour te sortir de notre relation, Sel. »
Quand Sélène était morte, son espérance de vie considérablement réduite par rapport a celle de Raziel, et qu'elle avait compris que son amante tenait sa promesse, elle avait pleuré.
Si elle avait un jour douté que Raziel et elle fussent âmes sœurs, elle n'en avait plus le moindre doute.
Et le reste de la non-existence de Sélène aurait pu suivre ce cours paisible, si un beau jour elle n'avait pas ressenti une douleur sourde dans la poitrine, ce qui n'était pas normal, parce que quand on est mort on est pas sensé pouvoir ressentir une quelconque douleur que ce soit.
Elle avait eu froid, et chaud. Et tout d'un coup, Sélène eut l'impression de mourir à nouveau tellement la douleur était forte. Le sang de ses veines, glacé depuis son dernier souffle, se réchauffait et elle brûlait de l'intérieur.
Sélène ferma les yeux, pressant ses mains contre sa poitrine dans l'espoir de réduire la douleur, dans une vaine tentative de se soulager.
La douleur cuisante, brûlante, terrible, et puis le néant.
"Mademoiselle ? Eh oh ?"
Quelqu'un lui secouait l'épaule, et ce n'était pas très agréable.
"C'est le terminus, Mademoiselle. Faudrait descendre de mon bus, que je puisse finir mon service."
Qui avait dit a ce type qu'il pouvait la secouer comme ça ? Sélène ouvrit les yeux, douloureusement, pour tomber sur le visage bouffi et plutôt agacé d'un homme.
Il lui fallut moins de deux secondes pour comprendre.
Si elle était sortie des Limbes, ça voulait dire que Raziel avait trahi sa parole.
Et ce type qui continuait de lui serre l'épaule et de la secouer pour qu'elle se réveille, c'était insupportable !
Sélène se leva brutalement et poussa le bedonnant chauffeur du 43 qui venait de s'arrêter Gare du Nord pour se casser de putain de bus. Elle avait la gorge serrée, les larmes aux yeux, et l'impression que son cœur était en train de se briser comme une coupe de champagne en cristal sur laquelle on aurait jeté un marteau.
Elle se jeta presque hors du bus, ignorant les cris du vieux type dans le véhicule, et se retrouva devant un grand bâtiment dans lequel elle s'engouffra, les yeux flous a cause des larmes qui montaient.
Dans sa panique, son regard se posa sur un grand tableau. Des heures, des noms de villes qu'elle ne connaissait pas, des numéros, et tout en bas, l'heure et la date.
13 mars 2019. 21h15.
Sélène se laissa tomber sur un siège, plus terrifiée que jamais.
Raziel l'avait oubliée. Son âme sœur avait oublié son existence, et elle se retrouvait seule, dans un monde où elle n'était même pas sensé exister.

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Le chant des Lucioles
Ciencia Ficción"Ton rire est comme le chant d'un milliers de lucioles", lui avait dit Raziel, après lui avoir promis qu'elle ne l'oublierait jamais. Sélène était morte depuis presque 3000 ans, et ça lui convenait très bien. Jusqu'à ce qu'elle se réveille dans le...