Aurora

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Je ne mettais pas aperçu, ma tante Hestia avait essayé de me joindre au téléphone 3 fois déjà. Je regarde l'heure, 7h27, merde je vais être en retard. Je lui envoie un texto pour lui dire que je suis en train de venir.

Aujourd'hui ce n'est pas un jour comme les autres : pour certains il symbolise la joie des retrouvailles tant attendu tandis que pour d'autres, comme moi, il représente une source d'angoisse liée à la vie sociale. Je redoute ces jours particuliers où le masque social des personnes est à son paroxysme. Entre les récits de vacances d'été de l'un, les fêtes incroyables de l'autre, les voyages au bout du monde de certains et ceux qui tentent de masquer un été morne : on ne sait plus où en donner la tête. Ce ne sont pas tant les faits qui me dérangent, mais plutôt la manière dont ces souvenirs sont présentés, avec une pointe de supériorité à peine voilée des locuteurs pour faire naître chez celui qui l'écoute, une envie, une jalousie. Je peux flairer à des kilomètres ce type d'attitude, qui me montre à quel point ce monde, ou plutôt les gens qui le constituent, sont faux : ils ne remarquent même pas qu'eux-mêmes ne croient pas à la joie de vivre qu'ils essaient de transmettre. Je suis arrivée à un point où feindre l'enthousiasme pour la vie d'autrui ne m'intéresse plus. Être "normal" n'est plus un concept qui m'inspire. Ma pensée se transpose à mon comportement, et sans trop d'étonnement, on me considère comme un antisociale. Cette journée-là est d'autant plus problématique : c'est ma première année au lycée, alors que j'ai déjà 17 ans. Je sens déjà les rumeurs courir dans cette nouvelle classe dont je me languis par avance d'intégrer ! Qu'importe, du moment qu'on me laisse tranquille, libre à eux de gaspiller leur énergie pour de telle subtilité.

Après 10 minutes de marche rapide, j'arrive enfin à la maison. Les jonquilles qui arborent le chemin commencent à éclore. En franchissant la porte, Hestia me presse immédiatement d'aller me préparer sans même s'enquérir de mon retard, alors que j'étais parti depuis presque 1 heure. Je lui en suis reconnaissante. Notre relation, ainsi faite, me convient : elle respecte ma sphère privée. Si besoin pour se rassurer, elle se contente de me demander si tout allait bien, sans véritable surprise, ma réponse fut toujours la même : oui.

Célibataire, elle me prit sous son aile alors que je n'étais qu'une petite fille de 7 ans : maltraitée par sa mère et ses concubins après avoir été abandonné par son père dont je n'ai jamais connu l'existence. Parfois, je me demande si ma vie aurait pris un autre tournant, s'il avait fait partie de ma vie d'une manière ou d'une autre... Peut-être serais-je devenu quelqu'un d'autre, une Aurora différente de celle d'aujourd'hui... Mais bon, tout cela n'est que spéculations sans fondement, surtout que je ne pourrai jamais le savoir : je ne peux être qu'une seule version de moi dans le temps présent parmi une multitude d'autres versions possible de ma personne. Au final, je n'éprouve aucun regret à l'égard de qui je suis à l'instant présent.

Ma tante est donc la seule famille qu'il me reste. Lorsque je l'ai vue pour la première fois à l'enterrement de ma mère, ses yeux rougis posés sur moi, j'avais tout de suite décelé de la pitié dans son regard. Je ne savais juste pas si cela était dû à l'enterrement de ma mère à un si jeune âge ou bien à la souffrance que j'avais dû endurer en vivant avec elle. Peut-être un mélange des deux ? Quelle qu'en soit la raison, depuis ce jour, j'étais une orpheline. La seule culpabilité qui me rongeait à l'époque était celle, de l'image que je projetais aux autres, ou plutôt celle qu'ils désiraient percevoir de moi. Je n'avais guère besoin de leurs pitiés, à mes yeux, ce sentiment n'est que le reflet du désarroi et de la fragilité d'une personne. Les murmures à mon égard ou encore les regards posés sur moi n'engendraient que vertige et dégoût en moi : je voulais m'enfuir de cet endroit où je me sentais comme une bête de foire, exhiber face à un public morose. Cette vulnérabilité, alors qu'une simple enfant, était un supplice pour moi. Ce qu'ils ignoraient, c'est que la mort de ma mère m'importait peu ; telle était ma réalité. Aujourd'hui, je comprends mieux ce ressenti qui m'habitait autrefois : je suis consciente que chacun à son fardeau et son vécu. Je suis loin de pourvoir juger quelqu'un, dans les faits ou dans la raison. Je pense qu'il incombe à chacun de se juger soi-même, afin d'éviter des paroles ou des actions dont on pourrait plus tard regretter l'impact, faute d'avoir acquis "l'expérience" nécessaire. 

J'arrive à l'étage où se trouve ma chambre. Je me précipite d'y entrer. Cette pièce semble très grande à première vue, mais on comprend rapidement que c'est dû à l'aménagement minimaliste : face à moi s'étend un grand lit noir situé près de la fenêtre, une table de nuit noire à sa droite, à ma gauche se dresse une armoire et à ma droite j'ai accès à ma salle de bain privée. Au centre, il y a un tapis vert où y est déposé une petite table transparente près de mon lit, je l'utilise entre autres pour mes études.

Je me hâte d'enfiler mon uniforme soigneusement posé sur le lit, puis je me dirige vers la salle de bain pour me rafraichir le visage. Je lève mon regard vers le miroir, je m'observe : mon teint est pâle presque comme un fantôme, je me demande si je suis réelle des fois... Une marque sur mon cou attire mon attention ; en m'approchant, je remarque une trace de sang séché. Je me suis probablement blessée en tentant de me dégager de l'emprise de... Je soupire. Je sais pertinemment que cette personne, ou plutôt cette ombre, n'existe pas.                                                   Il suffit que je prononce ces quelques mots pour être pris de sueurs froid. Toujours le regard fixé sur mes yeux, je commence à voir trouble. Qu'est-ce qu'elle voulait dire par "jamais oublier" ? Déjà, comment est-ce que je pourrai l'oublier ! Vraiment, par moment je me désespère en me demandant pourquoi est-ce que je m'inflige ça. Mon nez se réchauffe et je sens les larmes monter. J'entends brusquement ma tante toquer à la porte de ma chambre :

- « Es-tu prête Aurora ? On doit partir dans 7 minutes. »

- «J'arrive. Tu peux déjà descendre, je te rejoins dans une minute. »

Ma voix failli à craquer. Je réalise que je serre fermement ma main gauche sans me rendre compte, au point où mes ongles transpercent presque ma chair. Quelle meilleure façon de ravaler sa souffrance que par une douleur physique, plus réelle que la douleur psychique... Avant de quitter la pièce, je glisse dans la poche de ma jupe ma petite boite et je saisis mon sac, déjà préparé la veille. avant de descendre.

Je mange rapidement le toast garni d'avocat, de tomates et de fromage qu'elle m'a préparé, puis nous partons. Heureusement, on n'a qu'à 15 minutes de route. Cet école fait partie des meilleures de Harland. Pour obtenir une bourse d'études, il faut réussir des examens ; je fais partie des trois boursiers acceptés cette année. J'ai souhaité intégrer ce lycée, car il offre une vue sur la mer et est éloigné de mon ancien collège. Ma tante m'avait répété qu'elle pouvait prendre en charge mes frais de scolarité, mais j'ai refusé. Outre le fait qu'elle ait déjà passablement fait de chose pour moi , je voulais réaliser un objectif sans l'aide d'autrui. Ainsi, j'ai atteint mon premier but : j'ai fait un pas vers mon avenir, seule.

Elle me dépose à l'entrée et me souhaita bonne chance, me rappelant de la prévenir en cas de besoin. Elle s'en va en klaxonnant dans son Citrop rouge. La pilule que j'ai prise ce matin m'a bien détendue, je suis prête à partir à mon tour. Je franchis le grand portail, pour la troisième fois. Je reste ébahi par l'immensité de cet établissement, qui est deux voire trois fois plus grande que mon ancienne école. Je suis vite tirée de mes pensées en voyant des élèves s'attrouper à dix mètres de moi. Curieuse je me rapproche, je rêve, une bagarre, dès le premier jour d'entrée ?!

Douce Aurore [ révision du text ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant