Chapitre un

58 6 11
                                    

PDV Jasper

Mon dernier cours de la journée, la chimie, était interminable. Plus l'on se rapprochait de la sonnerie plus le temps ralentissait. J'étais épuisé, lessivé. Je n'avais qu'un souhait : rentrer et aller me terrer au fond de mon lit. Heureusement, le lendemain était un jour sans cours pour moi. Cela me permettrait de me reposer. Vivre avec deux filles en permanence n'était pas facile même si on les aimait plus que tout.

Le son tant attendu finit par retentir et je pus prendre le chemin de l'appartement. Une seule chose me trottait en tête : dormir. Mon rêve fut cependant de courte durée. A peine avais-je posé un pied dans l'appartement que deux folles dingues me sautaient dessus en hurlant.

– Alors, votre journée ? demandai-je.

– Normale. J'imagine qu'elle fut longue pour toi ?

– Plutôt.

– Diiiitttt, on a un service à te demander, lança Anna.

– Quand tu prends ce ton, cela ne présage jamais rien de bon...

– On voulait sortir ce soir avec quelques amis mais il faut que quelqu'un reste à l'appartement et comme tu comptes sûrement ne rien faire de ta soirée, cela te dérangerait-il de veiller sur notre invité ?

C'était mesquin, elle se servait de ma flemme et elle avait raison.

– Pourquoi faudrait-il que je veille sur...

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase qu'un jeune homme traversa le salon pour regagner la cuisine. Il portait un sweat à capuche, celle-ci était d'ailleurs visée sur sa tête. Il se déplaçait souplement, sans faire de bruit telle une ombre. Lorsqu'il releva la tête, je fus surpris. Son visage était parsemé de bleus et de blessures plus ou moins profondes. Cela ne semblait pas le perturber pour autant. Rien ne semblait avoir d'importance à ses yeux, il était dans son monde. Un monde froid et dépourvu d'un quelconque sentiment. Son expression me figea quelques secondes avant que je ne me reprenne. De ce que j'en avais compris, il allait rester parmi nous quelque temps alors mieux valait-il qu'on soit en bons termes.

J'ouvris la bouche, souhaitant dire quelque chose afin de détendre l'atmosphère mais rien ne me vînt. Un « ça va » aurait été idiot, mais rien d'autre ne me venait à l'esprit. Anna commençait à se redresser quand je prononçai :

– Je t'accueille à bras ouverts dans la galère de vivres avec deux folles, bonne chance. J'espère que tu es courageux, tu en auras bien besoin.

Mon essai pour lui arracher un sourire fut un échec. Son visage se tourna vers moi et ses yeux se plantèrent dans les miens mais rien. Aucun signe d'un minime sourire en coin. Ses prunelles grises me fixaient sans la moindre trace d'amusement. Je me sentais ridicule et un frisson me parcourut l'échine. Il serra son poing droit tout en continuant de me fixer. Voulait-il me frapper ? Pour quelle raison ? Il baissa ensuite la tête et repartit aussi rapidement qu'il était arrivé.

– Il s'appelle comment déjà ? demanda Amélie, notre troisième colocataire.

– Colin mais n'espérez pas lui parler pour le moment. Il est dans son monde et le secouer pourrait être néfaste. Il lui faut juste du temps.

– Dommage, il est sacrément mignon.

– Je doute qu'essayer de le draguer soit une bonne idée. A moins que tu ne veuilles te prendre un immeuble dans la tronche, pouffa Anna.

– Qu'est-ce que tu insinues ?

– Rien de particulier, il est juste dans sa phase et lui laisser du temps est la seule solution. Quand il en sortira, vous l'adorerez. Il est légèrement timide mais il ne juge pas et est très facile à vivre.

– Et il va dormir où ? intervins-je.

– Dans ma chambre pour le moment. Il a besoin d'être rassuré et rien de mieux que d'être dans la chambre de sa meilleure amie pour ça.

– Mais c'est qu'elle prend la grosse tête, rigola Amélie.

– Si tu savais ! J'ai dû passer par la fenêtre pour rentrer, elle ne passait pas la porte.

– Et toi ? Tu dors avec lui ? continuai-je.

– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, il a besoin d'être tranquille. Le canapé m'attend.

– Prends seulement ma chambre, je n'ai pas cours demain, tant pis si je dors un peu moins bien.

– Jasper tu es un amour. Merci.

– Dis... Est-ce que tout à l'heure j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Il avait l'air prêt à me frapper...

– Ah ça ! Mais non, loin de là. C'est sa manière de te remercier d'avoir essayé. Faute de parler, il s'exprime par les gestes.

– Et donc son poing n'était pas réservé à mon magnifique visage.

– La modestie manque terriblement dans cet appartement, souffla Amélie tout en souriant.

– Non, il ne parlera sûrement pas avant plusieurs jours mais à force il y a des signes qu'on finit par comprendre si on fait un effort.

– Bon, on verra tout ça. Je souhaiterais aller me mater une série au fond de mon canapé alors dégagez de ma nouvelle chambre s'il vous plaît et rapidement !

– C'est ça bonne nuit, nous on sort.

Le vendredi matin, je me réveillai tout doucement en entendant du bruit dans la cuisine. J'aperçus Colin en train de faire cuire des œufs avant de les disposer dans deux assiettes. Je me redressai doucement et le rejoignis avant de m'emparer des assiettes et de retourner m'assoir sur le canapé. Il ne bougea pas pendant plusieurs dizaines de secondes mais finit par me rejoindre et par prendre place à mes côtés. Il ne parlait toujours pas mais rien que son attention quant au petit-déjeuner laissait transparaître un de ses traits de caractère qui me plut au plus haut poing. Je débarrassai les assiettes et lorsque je le vis serrer le point, j'en fis de même. Il me sembla avoir aperçu une once de surprise dans son regard puis d'amusement avant que tout ne se fige, comme avant. Il finit par regagner la chambre et ne la quitta pas jusqu'au midi.

Je passai ma matinée avachi sur le canapé entre des fiches de chimie, de physique et d'anatomie. Les études, ce n'est jamais facile même si notre sujet nous passionne. Depuis mon plus jeune âge, dès qu'on me demandait quel métier je souhaitais faire plus tard, il me semble avoir toujours répondu médecin. J'aime le fait de pouvoir aider les gens et de les faire aller mieux autant que possible. Je sais que ce n'est pas toujours aussi simple et, je dois l'admettre, je redoute mon premier échec mais prendre la voix de la médecine a toujours été une évidence pour moi. Du moins, si on enlève mes cinq premières années, c'était ma période « super-héros » et j'étais convaincu que j'en serais un plus tard. Je ne serais jamais un héros mais si je pouvais sauver des vies quand même, j'en serais plus qu'heureux. Mon entourage m'a toujours dit qu'avoir une passion était une chance et que j'étais d'autant plus chanceux d'avoir toujours – en enlevant la période super-héros bien sûr – su ce que je voulais faire.

Lorsqu'il fut l'heure de manger, je m'afférais en cuisine, comptant bien montrer à Colin que moi aussi je pouvais être bon cuisinier et une fois que tout fût prêt, j'allai toquer à sa porte. Pas de réponse, évidemment, alors j'entrouvris doucement la porte. Il semblait dormir et son torse se soulevait régulièrement témoignant d'un sommeil profond. Nous mangerions donc ensemble une autre fois. Toutefois, au moment où je sortais de la chambre, mon téléphone annonça l'arrivée d'un nouveau message. Il remua quelque peu avant de sursauter en me voyant et de se replier contre la tête de lit.

– Je suis désolé, soufflai-je, je ne voulais pas te réveiller. Il y a une assiette pour toi si jamais tu as faim.

Je refermai doucement la porte, honteux de l'avoir troublé alors qu'il semblait si paisible. Drôle de coïncidence, le message venait d'Anna qui me demandait de veiller à ce qu'il mange et éventuellement, si j'en avais le temps, de regarder ses blessures.

Alors que je m'asseyais au bar, il finit par pointer le bout de son nez mais il prit son assiette bien vite et retourna dans son monde tout en me remerciant du regard.

Ouvre toi à moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant