Chapitre 1: Étincelle

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(Photo ci-dessus: Soldats de l'Armée Nationale Révolutionnaire Chinoise en position défensive sur le Pont Marco Polo, au nord de Beiping)

7 Juillet 1937, environs de Beiping, Chine du Nord, Zone disputée Sino-japonaise

Le ciel gris ne présageait rien de bon. Il avait plu dru toute la veille et le sol était encore humide. La rivière Yongding s'écoulait paisiblement dans son lit, son eau d'une couleur grisâtre. Dans son uniforme verdâtre, le capitaine Shimizu Setsuro, de l'armée japonaise du Kwantung, regardait le paysage, les yeux dans le vague, il voyait les silhouettes lointaines s'activer de l'autre coté de la berge. Le Pont Lugou, ou Marco Polo pour les occidentaux, traversait la rivière de part et d'autre et séparait Japonais et Chinois. Ceux-ci, habillés dans leurs uniformes bleus avaient entassé des sacs de sable, de manière à créer des barricades sur le pont et semblaient sur le qui-vive. Des mitrailleuses avaient été installées depuis la dernière fois que Shimizu était passé et des renforts s'étaient positionnés. La tension montait ces derniers temps. Les exercices nocturnes de l'Armée Impériale Japonaise avaient tendance à énerver les quelques 75 000 hommes de l'Armée Nationale Révolutionnaire Chinoise, positionnée dans les villes voisines de Wanping, Beiping et Tianjin. L'arrogance des soldats nippons était aussi à mettre dans la balance. Ceux-ci bénéficiaient, comme les européens de l'extra-territorialité permise par le système du Protocole Boxer. En définitive, la Chine n'avait aucun contrôle sur les étrangers qui foulaient son sol.

Cependant, ce déploiement de forces aussi soudain inquiétait Shimizu. Ce soir, le Bataillon Ichiki qu'il commandait faisait des exercices dans cette zone. Quelque chose allait peut être se passer. Et ce n'était pas du goût de Shimizu. Il jeta un coup d'œil soucieux à son lieutenant. Celui-ci semblait tout aussi inquiet des défenses chinoises mises en place. Shimizu continua de marcher dans l'herbe haute quelques instants. Le Japon s'était implanté de manière violente sur le continent asiatique. Après le premier conflit sino-japonais en 1894-95, l'archipel nippon s'était emparé de la péninsule coréenne en y installant un protectorat. En 1910, celui-ci était annexé par Tokyo. Entretemps, la Russie Tsariste avait été défaite par les glorieuses divisions japonaises qui s'étaient emparées du Liaodong et des villes de Darien et Port-Arthur. Comme toutes les puissances, le Japon avait profité de la faiblesse de la Chine après la Révolution du Double Dix, qui avait renversé l'Empire, pour avancer ses ambitions. L'éclatement de l'Empire du Milieu en milliers de petits territoires contrôlés par des seigneurs de guerre avait permis au Pays du Soleil Levant de supporter plusieurs leaders afin d'étendre son influence. Zhang Zuolin, le seigneur de guerre de Mandchourie avait ainsi longtemps été supporté par Tokyo. Malheureusement, son train avait mystérieusement explosé en 1928. Zhang Xueliang, son fils et successeur avait alors rejoint les nationalistes chinois de Chiang Kai Shek qui procédaient à l'unification, plus ou moins réussie, du pays. Ne pouvant tolérer de voir décapiter tant d'années d'efforts à implanter sa présence en Mandchourie, les élites japonaises, par leur inaction, avaient permis à un quarteron de généraux de l'Armée du Kwantung de mettre en place un incident à Mukden, en 1931, afin de prendre le contrôle effectif de la région. A peine cinq mois plus tard, était déclaré l'Etat Indépendant de Mandchourie, devenu depuis l'Empire du Mandchoukouo. Dirigé par l'Empereur Kangde, il fonctionnait en très étroite collaboration avec l'Armée du Kwantung. Puis le Japon avait continué à grignoter le territoire chinois qui l'entourait. Le Rehe en 1933, le Hebei de l'Est en 1935, le Chahar du Nord en 1936... La République de Chine était trop occupée par ses fractures internes et par la menace communiste et ne pouvait opposer que quelques minuscules forces à l'inexorable avancée de la toute-puissante armée japonaise.

Shimizu avançait lentement dans l'herbe humide. Son regard passait des fortifications chinoises aux lourdes caisses de munitions amenées par les soldats de Nanjing. Quelque chose semblait vraiment se préparer. Quelque chose de dangereux... Il n'y avait aucun doute qu'en cas d'attaque sur des soldats japonais, l'armée du Kwantung répliquerais et, par sa force imposante, écraserais les misérables chinois qui se mettraient en travers de sa route. Et pourtant, une ombre planait sur cette idée. Une sombre intuition disait à Shimizu que, cette fois, si la situation dégénérait, les conséquences serait bien plus graves que lors des accords He-Umezu et Qin-Doihara, issus de négociations d'urgence entre Nanjing et Tokyo, qui avaient permis au Japon de continuer à « grignoter » le territoire chinois. Une sombre intuition lui disait que quelque chose n'allait pas. Quelque chose allait mal tourner. Il en était persuadé. Cependant, il devait suivre son devoir. Malgré tout ce qui pourrait dégénérer, il mènerait les exercices de son bataillon.

Le Dragon et le Soleil Levant; Tome 1:  Aube Pourpre (Nouvelle version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant