Aujourd'hui, c'était le dernier jour de l'année. Je ne suis pas rentrée avec Céline, on s'est simplement dit au revoir en se promettant de s'inviter, mais je ne pense pas qu'elle était très triste.
Je marche, les écouteurs vissés aux oreilles. Je porte mes baskets et il fait très chaud, j'ai envie de me mettre pieds nus. J'ai attaché mes cheveux, mais ma nuque surchauffe tout de même, à cause du poids de mon sac sur mes épaules.
Je m'apprête à rentrer dans une rue piétonne déserte, mais je me rends enfin compte de la présence d'une personne, qui me suit depuis tout à l'heure.
Lorsque je la regarde discrètement, c'est un homme qui a la quarantaine. Les cheveux blond platine, plaqués vers l'arrière de son crâne. Malgré la canicule, il porte une large chemise sombre qui me semble très lourde. Son visage, comme tracé au couteau, avec une légère barbe mal rasée, est complètement rougi. Il a certainement trop chaud.
Je sentais qu'il était à côté pendant tout le trajet, alors pour m'assurer qu'il ne me suive pas jusqu'à chez moi - par pure précaution - je m'arrête à un passage piéton et je fais mine de choisir un autre morceau sur mon téléphone.
L'homme s'arrête, fait soudainement mine d'être très occupé sur son portable.
C'était une coïncidence...
Je décide de faire demi-tour, d'aller dans le centre-ville, qui est plus bondé. Je laisserai alors ce monsieur continuer son chemin, et je rentrerai ensuite chez moi.
Mais l'homme me suit.
Je rentre dans la petite boulangerie à l'enseigne orange, je me sens en sécurité. Je ne le vois plus.
Je m'achète une brioche au sucre, je ressors, soulagée. Mais je me rends compte qu'il m'attendait au coin de la rue.
Je m'enfuis, je m'assieds à un banc, là où le passage des piétons est très fréquent. J'espère qu'il me lâchera.
Mais il s'assied à côté de moi.
Je stresse, qu'est-ce qu'il me veut ?
Il me fixe, je croise son regard.
Il a des yeux bleus, translucides. Même si il semble être adulte, il a une lueur, presque ardente, presque dérangeante, qui le rend complètement irréfléchi et effrayant.
- Hé... commence-t-il, en continuant de me fixer.
Je ne veux pas lui parler. Il approche d'une manière très assurée sa main de l'endroit où je suis assise.
- Tu réponds pas ? me demande-t-il, t'es timide ?
Personne ne nous remarque, autour. Moi, nerveuse, le visage livide, mâchonnant de manière léthargique une viennoiserie, juste pour l'apparence. Lui, l'âge assez avancé, s'approchant dangereusement d'une mineure.
- T'as quel âge ?
Je n'ose pas bouger. Mais face à son regard de plus en plus insistant, je réponds en un souffle :
- Je suis beaucoup plus jeune que vous.
Il hausse un sourcil, amusé.
- Tiens, tu m'as répondu... t'es jolie tu sais ?
Ça m'était déjà arrivée avant. Parce que je portais une jupe, je m'étais faite héler à un arrêt de bus par un homme beaucoup plus vieux que moi. J'ai eu très peur, j'étais encore au collège. Mais finalement, ce jour-là, ma sœur était intervenue, et avait fait déguerpir l'homme louche très rapidement.
Sauf qu'aujourd'hui, Lise ne viendra pas me sauver.
Je suis seule, face à un adulte sournois.
- Mais putain, vous cassez les couilles là.
Je... Je reconnais cette voix.
- Râh mais lâchez-moi, bande de cons !
Je me tourne, pleine d'espoir.
C'est la voix de Valentin.
Je le vois, chahuté par ses amis, sur le trottoir d'en face. Je reconnais quelques de mes camarades de classe, ceux avec qui je n'ai jamais réussi à parler. Ils ont tous l'air si légers, si insouciants. Je vois en eux, une potentielle protection, contre cet homme qui me répugne, qui me suit depuis tout à l'heure comme un rapace.
Alors, je ne réfléchis plus, je m'élance sur la route, pour aller à leur rencontre.
Mais l'homme m'agrippe le bras, celui qui a ma brioche au sucre en main.
Il le tient si fort que je la fais tomber au sol, sur un tapis de poussière, de chewing-gum et de mégots.
- Où tu vas ? m'assène-t-il d'un ton menaçant. On n'a pas fini de parler, tous les deux.
Je panique. Je ne pensais pas qu'il irait jusque-là. J'ai l'impression qu'un vide se crée en moi, et que seul un instinct animal, une conscience que je ne connaissais pas, m'implore de quitter le danger. Je n'avais jamais ressenti la peur de cette manière. Je n'arrivais pas à me dire, que cela était possible que ça m'arrive.
Je sens mon échine tressaillir. Je crie, à travers la rue, j'appelle le plus fort possible Valentin, qui commençait à s'éloigner.
Il se retourne, étonné qu'on l'appelle, et me voit.
Son regard traduit successivement la surprise, puis l'incompréhension.
Ses amis se retournent eux aussi. L'homme qui me tient le bras relâche quelque peu son emprise, intimidé.
- Jade ? Mais que...
Valentin traverse la chaussée sans vérifier le passage de voitures, me prend le bras, et me tire, pour que l'homme me lâche.
- Vous lui voulez quoi ? gueule-t-il.
Le quarantenaire ne dit rien, mais le toise. Mes camarades de classe nous rejoignent, alors il n'ose rien faire. Il baisse son regard haineux, tourne les talons d'un air farouche, écrase au passage ma misérable brioche. Et marmonne un pétasse, qui tourne alors en boucle dans ma tête.
J'ai les jambes découvertes aujourd'hui.
Est-ce... Est-ce à cause de ça ?- Jade ? Jade, ça va ? Il te voulait quoi ?
Valentin me lâche le bras. Ses amis autour marmonnent entre eux.
- Je... Je ne sais pas...
À son regard, je sais qu'il ne me croit pas, mais il n'insiste pas plus.
- Faut pas te laisser faire t'sais ! Si un vieux t'emmerde, envoie-le chier !
Plus simple à dire qu'à faire, quand on est un mec. Mon silence le gêne légèrement.
- Tu veux rester un peu avec nous ? me propose-t-il, plus poliment que sincèrement.
- N-Non... Je, je vais rentrer chez moi...
Je ne veux pas les embarrasser plus longtemps. L'attention, pas forcément malveillante, qu'ils posent tous sur moi me donne une étrange sensation. Je baisse les yeux.
- Merci beaucoup de m'avoir aidée... Je... Bonnes vacances...
Et je m'enfuis, laissant Valentin et ses amis complètement déconcertés.
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𝐄𝐀𝐔 𝐃𝐄 𝐑𝐎𝐒𝐄
General FictionElle était seule. Enfermée dans le silence, entre ces quatre murs sombres. Elle essayait de faire étinceler le papier peint, de l'égayer, de lui donner de la vie. Mais elle ne faisait que renforcer la froideur de son uniformité, la mélancolie du...