Je me rappelle assez bien de ce jour. J'étais une nouvelle collégienne, parmi la foule d'élèves. J'étais seule, j'étais apeurée, mais j'étais habituée à ce sentiment.
Je me suis retrouvée dans la classe de sixième quatre, dans une salle qui sentait le renfermé de deux mois estivaux, à côté d'un garçon blond, au nez que je trouvais assez pointu. Il avait les cheveux clairs et soyeux, la peau pâle, et le corps extrêmement fin, presque androgyne. Je ne connaissais pas son prénom, et je me suis contentée de ne pas lui parler.
Il portait un T-shirt blanc, un pantalon noir, des baskets en toile ; une tenue des plus simples. Pourtant, chaque détail de ses vêtements était particulièrement soigné, la matière des textiles semblait des plus perfectionnée. J'ai reconnu dans ses habits, la finesse sobre, le luxe discret, des vêtements bien pensés et bien coupés, que mes parents m'achetaient plus jeune. Son sac à dos et sa trousse étaient impeccables, sans aucune tache ni gribouillage superficiel, son matériel était de la meilleure qualité qu'il soit.
Mon voisin était une personne qui semblait aisée. Il avait l'air de beaucoup s'ennuyer ; les bras croisés sur la table, le menton touchant presque ses mains, il balayait la salle du regard, avec une lassitude troublante pour son âge.
Lorsque notre professeure principale nous distribua nos formulaires, je le vis poser son attention sur ma fiche d'informations. Je n'osai pas bouger.
- Ah, tu t'appelles Jade ?
Il avait levé ses yeux gris vers moi.
- Ma chienne s'appelait comme ça.
Je ne savais pas quoi répondre. Je lui ai donc déclaré, sans oser croiser son regard :
- M-Moi aussi, j'avais un chien...
Il se redressa légèrement, probablement pris d'intérêt.
- Ah ouais ? Il s'appelait comment ?
- Je... J'en avais plusieurs...
- Ah bon ? Combien ?
- Quatre...
- Hé, c'est beaucoup quatre.
Il se mit à lire son document distribué avec une sorte de dépit. Puis il reporta son attention sur moi.
- Je peux te demander un truc ?
- O-Oui ?
- Ils sont morts, tes quatre chiens ? C'est pour ça que tu ne les as plus ?
Qui poserait ce genre de questions à une inconnue ? J'eus l'impression que mon cœur se serrait dans ma poitrine ; je ressentis un profond sentiment de tristesse et de nostalgie.
- Non... je... on a dû les donner.
- Ah, d'accord.
Par la suite, mon blondinet de voisin ne m'a plus adressé la parole.
Ce fut la première fois que je parlai à Valentin.
Je n'eus à ce moment de lui que l'image d'un garçon riche, qui s'ennuyait intensément, et qui était capable de poser des questions indiscrètes.
Mais étrangement, il devint au bout d'un mois un élève très apprécié, presque adulé. Souvent quémandé par les professeurs, pour son esprit critique et son étrange côté trublion, il sortait distinctement du lot, et rameutait autour de lui sa foule d'admirateurs. Il n'était pas si gentil, il n'était pas si brillant ; il était juste Valentin dans toute sa splendeur, Valentin et ses commentaires précis et vifs, Valentin et sa campagne électorale de délégué charismatique, Valentin et son sourire narquois.
Durant toutes nos années de collège, nous fûmes dans la même classe. C'était une étrange coïncidence à chaque rentrée, mais on ne se parlait jamais. Je savais seulement qu'il existait dans ma classe ; de même de son côté. Rien de plus.
Mais aujourd'hui encore, je suis surprise par notre première discussion. J'ai été marquée par cette lassitude viscéralement ancrée dans ses yeux, la toute première fois que je l'ai vu ; et le remarquer au fil du temps arborer son sourire insolent, comme s'il s'amusait, me procurait de l'incompréhension. Il me semblait discerner chez lui, un ennui masqué par une insouciante comédie.
Je ne me suis jamais sentie à l'aise avec les gens, mais mon malaise était encore plus prononcé avec Valentin. J'ai toujours eu l'impression qu'il n'était jamais lui-même.
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𝐄𝐀𝐔 𝐃𝐄 𝐑𝐎𝐒𝐄
General FictionElle était seule. Enfermée dans le silence, entre ces quatre murs sombres. Elle essayait de faire étinceler le papier peint, de l'égayer, de lui donner de la vie. Mais elle ne faisait que renforcer la froideur de son uniformité, la mélancolie du...