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Dans mon jardin se trouve un gros chêne. Ce chêne est ma véritable maison, mon foyer dans lequel je me sens rassuré. J'y passe la plupart de mes journées, n'étant pas scolarisé, j'ai tout le loisir d'y aller quand bon me semble. Je me hisse jusqu'à la branche la plus haute pour pouvoir observer le monde. Ma maison est perchée en haut d'une colline, me permettant de poser mon regard sur chaque recoin du village situé plus bas. Je me sens toujours seul au monde, et cette sensation me plaît, comme si j'étais un vieux roi veillant discrètement sur son peuple.

La vérité est pourtant bien différente.

Je ne suis pas le roi, je suis le gueux, le miséreux rejeté de tous, celui que l'on évite de peur d'être infecté. Tout ça pourquoi ? Parce que je ne peux pas communiquer comme tout le monde ? Quelle raison intelligente.

Oui, je suis muet. Je ne suis pas pour autant dénué d'intelligence ou d'émotions, loin de là. Mais je me suis fait une raison, les gens ne veulent rien avoir à faire avec moi, très bien, je resterai seul mais fier et heureux.

Alors aujourd'hui encore, jour de mes 17 ans, je suis seul sur ma branche de chêne.

"Hé, on a une bonne vue de là-haut ?"

Je sursaute, surpris d'entendre une voix et baisse les yeux pour chercher d'où elle provient.
Je tombe alors sur un jeune homme, les mains accrochées à un grillage, qui m'observe le visage radieux. Mon voisin. Mon beau voisin.

Sa famille a emménagé le mois dernier, et depuis, je ne peux m'empêcher de l'observer lui au lieu du village, du haut de mon arbre. Il est souvent dans son jardin, séparé du mien par une simple grille verte, jouant avec son chien Piku. C'est tout de même ironique, je connais le nom de son animal et même pas le sien. Je suis certain qu'il porte un très joli prénom, aussi joli que les doux traits de son visage.

En un mois, c'est bien la première fois qu'il m'adresse la parole. À vrai dire, je ne pensais même pas qu'il connaissait mon existence.
Je continue à le regarder dans les yeux, avant qu'un appel se fasse entendre.

"Changkyun c'est l'heure, viens !"

Le jeune homme se retourne vers sa maison pour crier qu'il arrive puis repositionne son visage vers moi, un grand sourire aux lèvres.

"Je dois y aller, je suis content de t'avoir parlé garçon du chêne. À la prochaine !"

Il me fait un signe de la main avant de s'éclipser à l'intérieur de sa maison.

J'avais raison.
Changkyun porte un nom aussi beau que son visage.

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Peut-on penser autant à quelqu'un que l'on ne connaît pas réellement ?
Je n'arrive pas à me sortir Changkyun de la tête, deux jours sont pourtant passés depuis qu'il m'a adressé la parole depuis son jardin.
Aujourd'hui je suis encore et toujours en haut de mon chêne, attendant malgré moi un signe de mon voisin. Je ne sais pas pourquoi je le trouve si spécial. Il n'a pourtant à priori rien de particulier par rapport aux autres jeunes du village. Soudain une pensée me traverse l'esprit. Et s'il savait que j'étais muet et comptait se moquer de moi ? La vérité me fait face et j'ai mal, si mal. Évidemment qu'il est au courant pour moi, tout le village l'est. Il va à l'école, il a forcément entendu tout ce qui se dit sur moi, je dois le dégoûter comme tous les autres.
Pour la première fois depuis longtemps, ce rejet envers ma personne me procure une douleur à la poitrine difficilement supportable. Il me vient à penser que je ne suis définitivement pas normal. Personne ne voudra jamais de moi, je ne connaîtrai jamais le bonheur, encore moins l'amour. Cette révélation me fait tant souffrir que des gouttes salées roulent le long de mes joues.

MUTE LOVE • changki [OS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant