Chapitre 32 - #1

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lundi 19 au vendredi 23 décembre 2107

J'avale deux­ grandes gorgées d'eau pour étancher ma soif, puis lève les yeux vers la vitre crasseuse. Dehors l'obscurité est encore dense, pourtant c'est l'heure de se remettre en route. Je mâche rapidement un abricot sec et bois une dernière gorgée d'eau avant de ranger la gourde dans mon sac.

Ma main rencontre les morceaux de tissu noir que j'ai récupérés hier et j'en sors un pour le faire jouer entre mes doigts. Je me demande encore ce qui m'a pris de m'encombrer de ça. Délicatement, je plie le tissu qui va rejoindre les autres. Une fois assurée que tout est bien en place et ne risque pas de se faire la malle, je me relève et sors du magasin qui m'a servi d'abri pour la nuit.

De la buée sort de ma bouche lorsque j'expire, mais je n'ai pas froid. Pas encore. Il va falloir marcher d'un bon pas pour rester au chaud. Tout en me mettant en route, j'enfonce mon bonnet sur la tête, enfile mes mitaines et remonte mon foulard sur mon nez. Mon sac pèse lourd sur mes épaules, tout comme mon fusil d'assaut qui se balance le long de ma hanche. Je tapote le canon d'une main. Ce HK-720 m'aura quand même bien servi.

Quatre jours plus tôt, en quittant Vichy avec l'aide de Thomas, j'ai pris la direction du nord. La discussion que j'ai eue avec Xavier au sujet des intentions de papa m'a fait réfléchir.

Quand j'étais encore avec eux, nous n'avions jamais réellement abordé le sujet. Tout ce que je savais, c'était qu'il voulait nous mettre hors de danger. Pas seulement Sarah, Samuel, Xavier, maman et moi, mais aussi tous ceux qui nous accompagnaient et comptaient sur lui pour les guider en un lieu sûr. D'après les rumeurs qui courent sur l'Australie – rumeurs qui seraient proches de la vérité vue que les différentes sources se rejoignent sur ce point –, cette destination semblait toute désignée. A priori peu touchée par la Rupture et prête à accueillir ceux qui désirent fuir l'oppression des différentes organisations, je me suis dit que papa choisirait probablement cette option. Et lorsque j'ai appris qu'il comptait les guider jusqu'à Nantes, cette hypothèse semblait se confirmer. De là-bas, ils auraient sûrement pu embarquer à bord d'un cargo qui transite entre les deux pays. Ce voyage n'aurait pas été sans risque, mais il aurait offert une meilleure alternative à ce que nous vivions en France.

Seulement d'après Xavier, il aurait changé d'avis, préférant s'opposer à l'expansion du NGPP en France, plutôt que de fuir à l'autre bout du monde. Au final, ça ne m'étonne pas vraiment de lui. C'est un homme qui affronte toujours les difficultés de face. C'était, Xalyah... C'était.

Partagée entre la fierté d'être la fille d'un tel homme et la douleur de savoir que jamais plus je ne le reverrai, j'accélère la cadence sur la route cabossée. Dans la pénombre, je devine la végétation essayant de reprendre ses droits, distordant le bitume pour se frayer un chemin jusqu'à l'air libre.

Quatre jours plus tôt, j'ai donc choisi de repartir vers le nord. J'ai décidé que moi non plus je ne fuirai pas. Certes, partir en catimini de Belary peut sans doute donner l'impression du contraire, mais à vrai dire, je me fous de ce que les gens penseront de moi. Je sais que mes pas me portent dans la bonne direction. Celle où mon cœur trouvera de quoi apaiser la plaie béante qui le fait se vider de son sang. Celle où j'assouvirai ma soif de vengeance pour rendre justice aux miens.

Alors, à raison de dix heures de marche par jour en empruntant des départementales et en coupant à travers champs, je suis arrivée sur Bourges, hier. En chemin j'ai croisé plusieurs convois qui gagnaient vraisemblablement Vichy. À chaque fois, je me suis écartée de la route pour les regarder passer d'une position cachée. Il y avait des militaires, des civils et du matériel dans les camions. Les choses semblent s'organiser autour du général Kalan. Objectivement, il n'a pas l'air d'être un mauvais leader, mais ce qu'il m'a fait me reste encore en travers de la gorge. J'ai trop souffert pour que l'on joue ainsi avec ces souvenirs. Je n'ai aucune envie de voir mes démons ressurgir au grand jour. Je n'ai aucune envie de servir d'icône pour une cause qui me dépasse.

Sur la route, j'ai aussi croisé des marcheurs. Solitaires ou en groupe. Avec eux, j'ai pris le risque de me montrer pour connaître leurs intentions. Tous m'ont répondu vouloir gagner la base de Belary. Certains plus déterminés que d'autres, mais ça m'a fait bizarre de me rendre compte qu'ils convergeaient tous vers le même objectif, animés du même espoir d'y trouver une vie meilleure. Mal à l'aise de rester près de quelqu'un aussi armé que moi, pas un seul d'entre eux ne s'est attardé. Je ne m'en suis pas offusquée, ne cherchant la compagnie de personne. Seule, je suis mieux. Je n'ai pas besoin de faire bonne figure.

Mes pieds crissent dans les congères qui emprisonnent l'herbe folle et ma lampe torche balaye les environs pour accrocher le panneau indiquant la sortie de la ville d'Allogny. Merci pour cette nuit au chaud, petite ville. Fourbue par ces trois jours de marche intensive et cette terrible journée sur Bourges, je suis contente d'avoir pu dormir quelques heures en toute tranquillité.

En repensant à ce qui s'est passé hier, monexpression s'assombrit davantage. J'ai assuré, oui, mais surtout... putain rienque d'y repenser, mes tripes se tordent douloureusement. Je crois que j'aisurtout dérapé. 

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Coucou la compagnie !

Quel plaisir de poster ce début de troisième tome ici ! Je ne sais pas si vous serez nombreux(ses) à lire ses lignes, mais j'espère que ça vous plaira et que vous serez contents de retrouvez notre héroïne internationale :)


Horizons #3 - Des cendres nous renaîtronsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant