De sable et d'acier (1)

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Khamsir, le vent du désert, exhalait son souffle brûlant sur la plaine sableuse qui s'étendait au pied des massives murailles d'Ilwaksour, la majestueuse capitale du vaste et faste empire Kalikan. Le soleil immense dévorait le ciel de son intense éclat brûlant, les hautes dunes ondoyant sous les vagues de chaleur. Massée sur le chemin ronde, une foule hétéroclite observait médusée la scène se déroulant au bas des remparts. Là, le sable clair s'était teint de pourpre, gorgé du sang de la soixantaine de soldats qui gisaient sur le sol brûlant, gémissants et mutilés. Immobiles au milieu du carnage, les silhouettes responsables de cette humiliante débâcle se comptaient sur les doigts de la main. Drapées dans de lourds vêtements de voyage agités par le vent, elles dégageaient une aura mystique, presque divine. Plus que leur prouesse, c'était la facilité déconcertante avec laquelle elles l'avaient accompli qui leur conférait cette dimension inhumaine, supérieure... monstrueuse.

L'une d'entre elle se détacha du groupe pour s'avancer en direction du général Kidar. Celui-ci, le visage congestionné, semblait frappé de catatonie. Les troupes d'élites qu'il avait lui-même formées, symbole de sa réussite et de son statut, venaient de se faire massacrer par ce groupe de rebelles pouilleux qu'il tentait de débusquer depuis plusieurs mois. Protégés par la population qui les considérait comme des héros, ils s'en prenaient aux nobles et notables proches du pouvoir et corrompus. Et voilà qu'ils se présentaient d'eux-mêmes aux portes de la capitale, massacrant sans aucun effort les forces considérées comme faisant partie des meilleures de l'empire. Ils n'étaient qu'une poignée, à l'aspect disparate : là un artiste martial dont les poings et les pieds avaient tordu même les armures les plus solides ; là une archère dont les flèches avaient toujours trouvé leur chemin à travers les fentes des casques et les jointures des plastrons ; là un homme portant les couleurs des assassins, à la furtivité meurtrière ; là une fauconnière au rapace majestueux, le bec et les serres encore ensanglantés ; là une prêtresse renégate, identifiable au tatouage d'infamie la défigurant. Et enfin cette silhouette, épée au côté, qui se dirigeait vers lui, un lourd cache-nez rabattu sous son capuchon, et qui semblait être le chef de cette bande hétéroclite. Arrivée à quelques pas de lui, elle s'arrêta, dévoilant son visage. Une lourde natte couleur de jais, striée d'une unique mèche blanche, dévala ses épaules pour atterrir au creux de ses reins. Les yeux dorés, étirés en amande, vinrent se fixer dans ceux du général, tandis que les lèvres fines se retroussaient en un sourire moqueur.

- Vengerez-vous vos hommes, général ? lâcha la jeune femme d'un ton narquois.

Les yeux du militaire s'écarquillèrent brièvement. Une gamine. C'était une gamine qui venait de lui faire subir la pire humiliation de sa carrière. Car celle qui se tenait devant lui n'avait pas atteint la vingtaine. Revêtue d'une simple tenue de voyage en cuir souple, éraflée par le sable, elle irradiait pourtant un charisme sauvage, un aplomb violent, presque agressif. Ses yeux, quand ils croisaient les siens, exhalaient l'envie de meurtre et l'appel du sang.

Mais le général était bien trop aveuglé par la rage pour le remarquer, ses sens émoussés par la cuisante honte que la jeune femme venait de lui infliger. La provocation était la goutte d'eau qui le fit déborder. Tirant son épée au clair, il s'avança :

- Si tu me crois aussi faible qu'eux, tu te trompes amèrement. Et crois-moi, je ne m'arrêterais pas avant de t'avoir fait suffisamment souffrir pour que tu me supplies toi-même de cesser.

Son visage aux angles durs était mangé par une épaisse barbe poivre et sel, qui ne parvenait cependant pas à dissimuler la contraction de ses mâchoires. Ses yeux étaient désormais réduits à deux fentes noires et cruelles qui brillaient d'un éclat malsain.

Le duel qui allait se dérouler au pied des murailles n'était pas qu'un simple combat. Honneur et vengeance. L'épilogue d'un long voyage. Le prologue d'une nouvelle ère.

***

La tension était palpable entre les deux adversaires, l'air alourdi par les effluves ferreux du sang qui montaient du sol. L'épée au clair, ils décrivaient un cercle lent dans le sable, cherchant l'instant propice pour se lancer dans le combat. Un pas de travers, un regard de côté... Soudain, l'épée du général accrocha le soleil, diffusant un éclat éblouissant. Aveuglée, la jeune fille plissa les yeux un bref instant. C'était plus qu'il n'en fallait à un vieux loup retors comme Kidar. Il s'élança, son épée décrivant un arc de cercle mortel. Son adversaire esquissa un sourire : la feinte avait fonctionné ! Elle esquiva souplement le coup, le déviant d'un simple mouvement du poignet. Entraîné par son élan, le général continua sa course en avant. L'inconnue en profita, s'engouffrant dans la garde grande ouverte de son ennemi. La lame de son épée remonta vers la gorge dans un mouvement d'une rapidité inhumaine. Le général était fait... Son visage se déforma soudain dans une mimique cruelle. La jeune fille comprit trop tard le piège. Du bout du pied, Kidar tapa dans le sable, envoyant voltiger au visage de son adversaire une nuée de poussière. Aveuglée, les yeux brûlants, elle rompit son attaque et bondit en arrière pour s'extraire du nuage... Grave erreur ! Son pied dérapa dans le sable mou. Déséquilibrée, elle bascula en arrière, tandis que le général abattait à deux mains sa lourde épée, telle une hache, pour la fendre en deux. Un réflexe salvateur la fit relever sa lame à temps, mais le coup était si puissant qu'elle fut projetée au sol. Les deux mains soutenant la lame, elle tentait péniblement de résister à la pression exercée par un général ivre de sang. Mais l'homme était fort, vigoureux : ses muscles épais forçaient sur la garde. Les deux lames crissaient, tandis que la jeune femme ployait peu à peu, son propre sabre se rapprochant dangereusement de sa gorge. Elle sentit le fil froid de son arme effleurer son cou, quelques gouttes de sang perlèrent. Au-dessus d'elle, le général partit d'un rire hystérique.

- C'est tout ?! Tu ne vaux rien ! Tes tours de passe-passe et de voltige ne te servent à rien face à moi ! Tu as été assez stupide pour me faire une démonstration de tes capacités juste sous mon nez et tu me crois assez stupide pour ne pas en tirer profit ? Ta prétention causera ta perte !

« Non ! Je ne veux pas mourir comme ça ! » songea-t-elle, le visage tordu par l'effort. « Pas alors que je suis si près d'obtenir ma vengeance ! » Une onde de révolte parcourut son corps. Rassemblant ses forces, elle lança son pied en avant, au mépris de la lame qui lui meurtrissait le cou. Il y eu un bruit sourd quand celui-ci s'enfonça dans le ventre de Kidar, heurtant la cotte de maille. Le souffle coupé, celui-ci recula de quelques pas, relâchant la pression. La jeune fille en profita pour se remettre debout, en garde.


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Cette semaine, nous vous proposons la première partie d'une petite escapade au goût de fer et de sang. La suite arrivera samedi prochain. En attendant, nous espérons avoir éveillé votre appétit. Merci et à bientôt dans ces Brèves à Grignoter !

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Bonjour à tous ! J'espère que ce petit texte vous aura plus. Un autre style, très différent du premier. J'avais envie de vous raconter un duel. J'ai encore un peu de mal à évaluer la longueur des chapitres : le format actuel est-il trop court ? Trop long ? N'hésitez pas à me laisser vos remarques, à commenter ou tout simplement à voter ! Merci d'avance, et à très bientôt pour la suite et fin de ce petit récit dans le désert !

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