De sa main gauche, elle tâta sa gorge, la retirant maculée de sang. La plaie n'était guère profonde, heureusement. Elle frissonna, la respiration encore toute haletante de l'effort qu'elle avait fourni : elle avait failli finir décapitée ! « Je dois me méfier... cet homme a beau être une ordure de la pire espèce, c'est l'une des plus fine lames du royaume. Il a raison. Je me suis laissée emporter, j'ai dévoilé trop de mes atouts dans la bataille précédente. Il va falloir être prudente !». Dans son dos, elle pouvait sentir le regard attentif de ses compagnons. Ils n'avaient pas bougé, sachant toute l'importance que ce combat revêtait pour elle, mais elle ressentait la tension qui les parcourait. Il s'en était fallu d'un cheveu pour que sa tête ne roule au sol, ils le savaient.
En face, le général s'était relevé lui aussi. Il ne riait plus. Les deux se toisèrent. A présent qu'ils avaient pris la pleine mesure de l'adversaire et de ses capacités, ils arboraient une concentration effrayante. Dans un même élan, ils se jetèrent l'un sur l'autre. Les lames s'entrechoquèrent en tintant. Coup d'estoc, de taille, parade, esquive, feinte, coup sur le côté, s'enchaînaient et se paraient à une vitesse inouïe dans un fracas assourdissant, exécutant dans l'air un ballet mortel aux coups millimétrés. Aucun ne semblait prendre le dessus sur l'autre. Toute attaque était systématiquement parée. La force brute et l'expérience du général étaient contrées par la vitesse et l'agilité surhumaine de la jeune femme. On aurait dit un feu follet sautant, bondissant, virevoltant, enchaînant les coups surprenants et inhabituels pour déstabiliser Kidar. Son arme changeait de main en permanence, dans un style aussi surprenant qu'inédit.
Soudain, alors qu'elle se lançait dans une attaque foudroyante, son coup fut brutalement paré par le pommeau de l'épée du général. Sa lame rebondit, repartant en arrière et ouvrant dangereusement sa garde. Le général y vit l'occasion propice pour porter le coup fatal. C'était sans compter sur l'intuition et les réflexes incroyables de son adversaire. Plutôt que de tenter de ralentir le mouvement, elle lança encore plus son bras en arrière, faisant passer la lame derrière son dos. Alors, elle la lâcha, la rattrapa de son autre main qu'elle avait aussi glissée derrière elle, pour finir par un superbe coup d'estoc. Son sabre finit sa course dans l'épaule de Kidar, crissant contre les mailles de sa cotte, se glissant dans l'interstice de la jointure, s'enfonçant dans ses chairs dans un éclat de sang. Mais malheureusement, le général était trop près. Bien que déstabilisé, il eut le temps d'achever son attaque, et sa lame s'abattit, traçant une longue plaie écarlate traversant en diagonale tout le torse de la jeune femme. Les deux ennemis s'effondrèrent sur le sol dans une gerbe de sang et de sable.
Finalement, une silhouette se dessina dans la poussière, debout. Le général Kidar. Sa plaie saignait abondamment, mais il arborait un sourire victorieux. L'inconnue gisait au milieu d'une mare pourpre. Le général partit d'un rire violent, exultant de sa victoire. Mais un bruit le fit se retourner. En face de lui, elle se remettait sur pied, tant bien que mal. Malgré le sang qui ruisselait de sa poitrine, son visage était plus décidé que jamais. Elle attrapa son sabre qui gisait sur le sol et se redressa, vacillante. Détachant sa cape qui tomba sur le sol, elle se remit en position. En face d'elle, le général éructait. À cause de son estoc à l'épaule, et de la distance qui subsistait entre eux au moment de l'attaque, la puissance du coup qu'il lui avait porté avait diminué, et la blessure n'avait atteint aucun organe vital, entamant superficiellement la peau.
- Tu es un insecte fort déplaisant, cracha-t-il entre ses dents serrées.
C'est alors que la jeune femme rengaina son épée. Sous les yeux médusés de son adversaire, elle adopta une position étrange : pied droit en avant, torse penché, main gauche rejetée en arrière, à l'extrémité du fourreau. C'en était trop : elle se moquait de lui ! Dans un accès de colère, et abandonnant toute prudence, il se jeta sur elle en poussant un cri inarticulé. Il signait sa perte. La silhouette en face de lui se troubla brièvement, disparaissant de son champ de vision étréci par la rage. Filant au ras du sol, elle venait de combler d'un bond la distance qui la séparait du général, pour qui elle semblait avoir réapparu à quelques centimètres en dessous de lui. Elle poussa son fourreau vers le haut, donnant de l'élan, empoignant la garde et dégainant à la vitesse de l'éclair. Un fugitif éclat argenté zébra l'air, tranchant le torse de Kidar, sectionnant le bras. Le général s'affala dans la poussière, le sang jaillissant de son moignon imbibant le sable clair. Son bras tranché tournoya dans les airs encore quelques instants avant de heurter le sol dans un bruit mat.
Dans le silence de mort qui s'était abattu sur la plaine retentit alors le claquement sec, définitif, du sabre de l'inconnue s'encastrant dans son fourreau.
- C'est fini, lâcha-t-elle, presque pour elle-même.
Alors, comme si ce son avait été un signal, une immense clameur s'éleva des murailles : stupéfaction, cris de peur, et même quelques acclamations se mêlaient en un vacarme assourdissant, presque écrasant. Mais elle n'en avait cure. Car les vivats soulagés et euphoriques de ses compagnons, qui s'étaient précipités à ses côtés, avaient infiniment plus de valeurs. Mais si ce combat était fini, tout ne l'était pas. Ils le savaient bien. Ce n'était que le début.
Dans un même mouvement, ils reportèrent leur attention vers les remparts, où la confusion était toujours à son paroxysme. Le général Kidar, meilleur guerrier du royaume, venait de se faire battre par une gamine. Qui était-elle ? D'où venait-elle ? Que voulait-elle ? Dans la poussière, le militaire se redressa, sa main serrée autour de sa plaie pour limiter l'hémorragie. «
- Qui es-tu ? souffla-t-il.
Un sourire douloureux étira les lèvres de la jeune femme :
- Tu as donc oublié jusqu'à mon visage... Mais peut-être que mon nom te sera plus familier : Noor Dan'Kalikan.
Le visage du général se décomposa :
- Impossible...
- Et pourtant... malgré tes efforts acharnés à me tuer, j'ai survécu. Et je suis venue pour réclamer ce qui m'est dû. Pas ce trône de pacotille pour lequel mon père s'est fait assassiner alors qu'il en était l'héritier légitime. Je le laisse à qui le voudra.
Elle s'agenouilla face à lui, son visage désormais presque collé au sien. La douleur qui traversait son sourire s'effaça pour devenir détermination. Une détermination froide, terrifiante, qui envoya une série de frissons dans le dos du général.
- Ce que je veux, c'est la vengeance. Une vengeance totale et complète contre cet empire pourri jusqu'à la moelle. Contre toi qui a assassiné mes parents. Contre mon oncle, l'actuel roi, qui l'a ordonné. Contre tous ceux qui l'ont soutenu, tous ceux qui ont toujours refusé d'abandonner leur privilèges, se drapant dans leur noblesse et la soi-disant supériorité de leur naissance, fustigeant mon père pour les changements qu'il voulait apporter. Contre tous ceux qui n'ont cessé de me dénigrer, moi et ma mère, parce qu'elle était une étrangère. Je les expurgerai tous. Je détruirai tout ce qu'ils ont bâti de mes mains, et je les laisserai contempler l'effondrement de leur monde. A commencer par toi. Ton infirmité te réduit à l'impuissance. Tes talents de combattants ne te servent plus à rien désormais. Alors profite du spectacle tant que tu le peux encore.
Sur ces mots, elle se redressa. Échangea un regard avec ses compagnons. Tous acquiescèrent à sa question muette. Elle sourit, un sourire chaleureux et authentique.
- Allons-y. C'est maintenant que tout commence.
Sur ces mots, ils s'élancèrent ensemble vers le désert. Leur déclaration de guerre avait été entendue. Et plus rien ne serait comme avant.
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Merci à tous d'avoir lu cette histoire jusqu'au bout ! Au plaisir de vous revoir dans les Brèves à Grignoter !
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Brèves à Grignoter
Historia CortaEnvie de lecture mais peu de temps devant vous ? Aucun problème ! Ici, vous trouverez des histoires à croquer sur le pouce, des nouvelles à emporter. La carte n'est peut-être pas très étoffée pour le moment, mais ne vous inquiétez pas, nous travaill...