Le garçon attendait bien sagement près de la demeure dans laquelle son père venait de pénétrer. Il avait tenu à rester dehors car les fortes odeurs à l'intérieur de l'imprimerie lui donnaient la nausée. Son père lui faisait confiance pour rester tranquille. Les mains bien serrées sur son petit cartable, les cheveux d'un blond doré peignés soigneusement sur le côté, le regard sérieux, presque trop sage pour quelqu'un de son âge, le garçon ne s'impatientait jamais quand il fallait attendre. Son père était allé récupérer des cartes neuves afin de permettre à ses élèves d'étudier la géographie des Trois Murs et il savait que c'était une chose importante. Le savoir libère et élève l'âme. En tant que fils d'instituteur, il l'avait compris très tôt, et il ne ratait jamais une occasion d'apprendre.
Par exemple, il apprenait beaucoup en regardant les autres gens. Il les voyait toujours comme s'il se trouvait dans un autre monde, à part ou à côté, parfois au-dessus. Ce n'était pas qu'il se sentait supérieur, non, mais il avait toujours dans le coeur une certaine mélancolie qui le faisait se sentir plus seul de jour en jour, et cette solitude ne lui pesait jamais davantage que lorsqu'il se trouvait dans une foule. La masse isole les individus les uns des autres, et le garçon le ressentait particulièrement. Il avait bien un ami proche, et des camarades de classe, mais rien ne pouvait l'extraire de cet isolement habituel que la multitude lui infligeait. A croire qu'il l'aimait trop pour le laisser filer.
Son seul véritable ami était son père.
Le garçon regarda l'horloge du beffroi de Stohess et remarqua que l'heure de la classe approchait. Ils seraient sans doute en retard, mais comme son père était le maître, c'était lui qui décidait de l'heure. Et puis les cartes étaient nécessaires pour bien expliquer le cours. Le garçon avait droit à des enseignements plus spéciaux, plus mystérieux, en dehors de la classe, en tête à tête avec son père, à la lueur des bougies, et c'était les moments qu'il préférait. Il lui disait alors tout ce qu'il ne pouvait s'autoriser à révéler à ses élèves. Le garçon partageait avec son père ce secret, ces théories sur le monde si incroyables qu'il lui avait ordonné de n'en parler à personne.
Mais le garçon se demandait encore si cette mise en garde n'était pas exagérée. Il aurait tant voulu pouvoir parler de tout cela avec quelqu'un d'autre, entendre un avis extérieur, pouvoir mesurer son enthousiasme et ses capacités de déductions avec un camarade en lequel il aurait une confiance totale ; mais toujours l'avertissement paternel lui revenait en tête et il renonçait.
Il bougea un peu sur ses jambes raides et nues, fouettées par le vent frais, et continua de regarder les passants. Son regard fut soudain arrêté par un éclat blanc contre la pierre noire du mur de la rue. Il plissa les yeux et constata que c'était un bout de tissu immaculé qui pendait au cou d'un drôle d'individu.
Il se trouvait adossé au mur, les yeux baissés, les bras croisés, sa veste posée seulement sur ses épaules ; les manches de la veste noire, visiblement trop grande pour lui, étaient absolument immobiles alors que le vent soufflait fort ce matin. Même les cheveux sombres de l'individu semblaient collés à son crâne. Il aurait pu être une statue de marbre blanc et noir que cela n'aurait pas étonné le garçon. Cependant, la statue se mit à bouger.
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L'Océan des Possibles [+13]
FanfictionUn enfant solitaire, avec des rêves pleins la tête... Un fantôme du passé égaré dans le flot du temps... Son ultime mission, jamais achevée... Son ultime chance de tout réparer... En ce lieu, tout semble possible. OS lié aux Chroniques de Livaï, pou...