Il était sept heures du matin, le 14 mars 1844, lorsque Constance Valin aperçut pour la première fois une large masse grise, fumante en tous coins, à laquelle on attribuait le rôle de capitale. Paris se dessinait, tandis que Constance, accoudée à la fenêtre de la voiture, réfléchissait à l'héritage qui l'attendait. Elle n'avait jamais eu l'occasion de voir son oncle, le père Valin, et pourtant elle était la future bénéficiaire de nombreux francs.Sur la banquette avant, se tenait une femme d'âge moyen aux cheveux poivre et sel, l'air aigri, qu'on pouvait entendre à des kilomètres à la ronde.
— Je vous le jure ! Paris m'agace ! Cette ville m'agace ! Et cette foule, mes aïeux, cette foule ! s'exclama la vieille dame.
— Je vous assure, on peut trouver du bon à Paris, répondit sa voisine. Regardez par exemple nos fiers bâtiments, nos fiers jardins. C'est bien grâce au Louvre et aux Tuileries que Paris est Paris.
— C'est bien le Louvre qui ne me réjouit pas de venir, ma chère.Je ne saurais trouver plus irritable que tous ces gens venus de toute la France pour admirer de pittoresques tableaux réalisés par des artistes plus indécis les uns que les autres, changeant chaque année de style, influencés par les nouvelles tendances.Les vraies valeurs, je vous le dis, on les trouve en campagne.
— On ne trouve à la campagne que l'air frais dont a besoin un homme d'usine pour se ressourcer. L'inspiration, elle, on la trouve ici, dit la mystérieuse femme, de plus en plus agacée.Pourquoi vous rendez-vous à Paris si vous détestez son existence même ?
— Je suis ici pour une affaire personnelle, madame Gaubert. Je vous connais journaliste, pas curieuse... rétorqua froidement madame de Ribaucourt.
Constance les écoutait, fuyant les demoiselles du regard, pour ne pas se sentir obligée d'esquisser un avis dans le débat avec des idées tout aussi différentes de celles de Ribaucourt. On entendait le cocher redynamiser les chevaux, épuisés du voyage depuis Ornans. On leur avait infligé les chemins boueux, les temps de pluie, les simples brigands, les nombreuses auberges où l'on décrottait les fers et où l'on trouvait de nouveaux passagers.Constance, elle, avait vu des gens défiler, sans tomber sur d'aussi fortes têtes que les deux commères qui se trouvaient en face d'elle. Elle était amusée de voir autant de complicité que de concurrence pour un sujet si morne. Un sujet morne que Valin aurait adoré approfondir dans l'un des articles qu'elle s'imaginait écrire, se laissant submerger par l'émotion que lui procurerait le simple fait de voir ses mots, ses mots à elle, s'imprimer sur le papier blanc et pur qu'on distribuerait à l'aube dans tous les cafés de la ville. Venant d'un petit village, elle n'avait comme lectrice que sa mère, avant que celle-ci ne la quittât en janvier,n'ayant pas résisté au rude hiver qu'avait connu l'est de la France.
— Ma chère, vous allez bien ? Vous avez l'air d'avoir vu le Malin. Vous êtes d'une pâleur! dit tendrement madame Gaubert, fuyant les râles incessants de Ribaucourt.
— Le trajet est terriblement long. Je n'en puis plus d'avoir à subir des routes aussi dégradées. Je subis le moindre petit gravier sous une roue, comme une torture qui traverse tout mon être.
— Je vous comprends mais, vous savez, dit plus lentement madame Gaubert, nous sommes bientôt arrivées. J'aperçois au loin la porte est de Paris. Je m'appelle Camille. Enchantée.
— Constance, je m'appelle Constance. Enchantée.
— C'est un bien joli prénom que vous avez là, et votre visage est si pur, si coquet. Si vous n'êtes pas là pour trouver l'amour,alors pourquoi êtes-vous venue ?
— Mon oncle, répondit nonchalamment la jeune femme, est décédé depuis peu et je viens de loin pour assister à la lecture du testament. Me faire un peu d'argent, voyez-vous. Je ne l'ai jamais connu.
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Pathologie sentimentale [EN CONTRAT D'ÉDITION]
RomantikParce qu'elle a besoin de bruit, de nouvelles lumières, d'art, Constance profite d'un héritage pour découvrir Paris. Elle y trouve ce qu'elle recherchait et, surtout, ce à quoi elle ne s'attendait pas. L'émotion peut naître d'un paysage urbain ou d'...