PARTIE I : avril

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                                                     prologue/chapitre 1, vide

Parfois, je me demande ce que ça fait que d'être comblée. Oui, parce que moi, je me sens vide de part en part. Il y a des trous dans mon cœur, je sens l'air passer à travers. Des trous qui se creusent de plus en plus lorsque je pense à ma mère. Ou lorsque mon père rentre fatigué, et qu'il fait comme s'il n'était pas triste de vivre ainsi.

Depuis que ma mère est partie, c'est comme si nos vies étaient vides, comme s'il nous manquait quelque chose, à lui, à ma sœur et à moi. Un bout de notre famille. J'aurais pu pardonner à ma mère, mais je ne peux pas m'empêcher de la haïr profondément d'être partie lâchement, comme la lamentable mère qu'elle est. Parce qu'avant qu'elle ne prenne cette décision, c'était ma mère et je l'aimais. Finalement, elle nous a arraché des morceaux de nous tous. J'aurais pu ne pas la haïr comme je la haie maintenant, mais je ne peux pas m'en empêcher. Parce qu'elle a pris cette décision, celle de partir loin, très loin. Parfois, je ressentais ce mal-être qui me rappelait que ma mère ne m'aimait pas tant que ça, puisqu'elle était partie sans moi. Ça brise des cœurs, et ça brise tout court. Elle à déchiré les ailes de deux enfants trop jeunes pour pouvoir se passer d'une mère, et rien que parce qu'elle à fait ces deux choses qui me paraissent pourtant énormes, je lui en veux terriblement. Alors j'aurais pu aimer ma mère, bien-sûr. Mais je n'y arrive pas.

Ma sœur, elle, est partie il y quelques années, déjà. Lorsque ma mère nous a laissées, elle avait onze ans, j'en avais six. Six ans, c'est trop tôt. Enfin, il est toujours trop tôt pour être séparé de sa mère. A ce moment-là, Solène s'est plongée dans le travail pour étouffer sa peine. Elle faisait croire que ça allait, et je crois qu'au début, elle pensait elle-même qu'elle allait parfaitement bien. Mais le fait qu'elle consacre tout son temps à étudier montrait bien qu'elle était terriblement malheureuse au fond d'elle.

Solène et moi somme très différentes, elle aime étudier, en particulier les sciences, tandis que je suis beaucoup plus penchée sur l'art et la littérature. Nous avons aussi grandi de manière totalement différentes : elle aimait notre mère plus que tout au monde, alors quand elle est partie, ça lui a fait un choc. Elle était déjà assez grande pour comprendre la situation. Elle à du l'accepter au fil du temps, tandis que moi, j'ai grandi comme ça. J'ai appris à vivre sans elle naturellement. Depuis, on ne la voit plus vraiment.

D'habitude, je pense moins à ma mère, voire pas du tout. Ça peut paraître égoïste d'avoir ce genre de pensées, mais au bout de dix ans on oublie. Les blessures finissent par s'endormir, laissant leurs marques. C'est juste des cicatrices. Quand on parle d'elle, elles brûlent. Alors aujourd'hui, je brûle d'un peu partout.

J'ai reçu un message de ma mère, ce matin (un message court et formel, comme à son habitude) pour me prévenir qu'elle et ma sœur seraient chez ma tante en Italie cet été et que j'y étais la bienvenue.

   -Avril ! encore dans tes pensées, ma parole, m'interrompt mon père.

   -oui, désolé, dis-je anxieusement.

Surtout, faire comme si je ne pensais pas à ça. Si je lui dis, c'est au risque de l'affecter encore plus qu'il ne l'est déjà.

   -qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-il.

Et merde. Je suis une piètre menteuse, même si parfois je m'en sors plutôt bien. Non, cet instant ne fait pas parti des maigres « parfois » où mon talent de menteuse se révèle.

   -pas grand-chose. Je pensais juste à Solène...

   -je m'en doutais.

Un silence s'en suit. Nous sommes là, debout dans l'appartement à se regarder sans rien se dire.

   -à moi aussi, elle me manque, ma puce.

Il rejoint le bureau, sûrement pour travailler.

Mon père enseigne les mathématiques à des gosses de riches dans un lycée privé. On lui a proposé ce poste il y a deux ans, avec un salaire bien meilleur que celui qu'il avait auparavant lorsqu'il enseignait dans le lycée dans lequel j'étudie. Le souci, c'est que l'établissement se trouve à une demi-heure d'ici. Ce n'est pas si long, mais avec les embouteillages, le matin, il est obligé de partir tôt. Ses élèves n'ont pas l'air d'être des tendre en plus de ça, alors lorsqu'il rentre le soir, il est souvent très fatigué.

Mon père m'avait proposé de venir étudier dans ce lycée, mais je n'en avais vraiment pas envie. Je ne me sentirais pas à ma place, là-bas. J'ai souvent en tête ces stéréotypes du milieu aisé, genre les gens sont hautains et superficiels. En bref, ce fut un « non » catégorique lorsque je me suis dit qu'il fallait que j'arrête de porter mes fringues préférées au lycée catho de Simone Veil. « Tant pis pour toi ! », m'avait annoncé mon père. Oui, tant pis pour moi. Je rate sûrement des trucs vraiment géniaux, genre des petites soirées entre ados coincés.

Aujourd'hui, je suis toute chamboulée et, je crois un peu que j'ai choisi le mauvais moment pour commencer à raconter une histoire qui ne nous mènera peut-être nul-part. Cela dit, ça me motive à agir et à faire des choses, rien que pour avoir des trucs dingues à raconter. Si j'avais commencé hier, je n'aurais pas parlé autant de ma famille, parce que la plupart du temps, c'est un sujet tabou pour moi. J'aurais plutôt parlé de mes amis, de mes passions, de ma vie sentimentale (comme tous les ados, un peu) et de mon père, le seul membre de ma famille dont je peux parler librement, mais mon père, j'en ai déjà parlé. Alors, peut-être que je devrais continuer par ça.

Moi, c'est Avril. Quel prénom naze. J'ai seize ans, et je vis avec mon père qui, à mon plus grand regret, est prof de maths. Malheureusement, je n'ai pas hérité de la faculté scientifique de mon père : les maths (les sciences en général, en fait) et moi, ça fait quarante...

Je crois bien que ça ne tourne pas rond dans ma tête, peut-être que mon cerveau a une déficience ou quelque chose comme ça, parce que je balaye du revers de la main chaque individu tentant de s'immiscer dans ma vie : je sais au fond de moi que je suis capable d'aimer quelqu'un, mais je fais un gros blocage lorsqu'une personne s'implique trop pour moi. On ne peut pas me le reprocher, ma mère s'est barrée quand j'avais six ans. Je suis une insensible, dans le style psychopathe. Du coup, ça fait dix ans que je reste focalisée sur les mêmes choses parce que je n'arrive pas à avancer. Au début, parler avec des gens c'est facile. Mais quand on s'intéresse de trop près à moi, je me referme comme une plante carnivore. J'aimerais bien qu'on m'aime, et en même temps je fui dès que c'est le cas. Je crois que je suis un peu déréglée. Comme une horloge cassée dont les aiguilles se sont arrêtées. Une plante carnivore un peu timide avec des aiguilles qui n'avancent pas. 

Avril🌷Où les histoires vivent. Découvrez maintenant