Berlin #1 - "Kafka"

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Je sais qu'un jour, tu liras ça.

Quand ?

J'en sais rien.

Comment le saurais-je ?

Je sais que tu le feras.

Même si tu n'aimes pas lire.

Tu n'as jamais aimé lire.

Ton fils est écrivain.

Tu ne lis jamais.

Ton fils est gay.

Tu es homophobe.

Ton fils a décidé de partir.

Tu es resté.

Je sais que je joue les Kafka en ce moment. Une lettre à mon père - et quel père ! - qui ne m'a jamais vraiment compris. As-tu seulement déjà compris quelqu'un ?

Je ne suis pas là, de base, pour te mettre ça dans la gueule.

Tu es un mauvais père comme on est mauvais en sport.

Je suis un mauvais fils comme je suis mauvais en amour.

Mon don pour m'isoler vient sans doute de toi. Quand il y avait des invités, même si tu étais l'hôte; tu allais te poser devant la télé sans un bruit. Comme si personne n'existait en dehors de ton écran.

Quand je suis né, tu m'as aimé parce que j'étais un garçon. Juste pour ça. Après avoir eu deux filles, tu avais enfin retrouvé tes couilles. Enfin, des couilles.

Après réflexion, je ne suis pas si sûr que tu liras ceci.

Parce que personne ne change.

Au début, mes sœurs me haïssaient. En fait, elle m'ont haïs jusqu'à ce qu'on grandisse. J'ai toujours été rejeté de leurs jeux, de leurs conversations.

De leurs vies.

Parce que tu étais si dur et froid avec elles, et si bon avec moi. Si gaga. Et moi j'étais un petit con arrogant. J'étais toi.

Ma mère t'as quitté quand j'avais quatre ans.

Quand on venait chez toi pendant tes tours de garde, tu restais dans ton siège sans parler.

J'ai fini par m'ennuyer. Je mangeais comme huit. J'ai pris tant de poids que maman a pleuré en me voyant revenir.

Elle t'as incendié, et t'as rien compris.

Je ne t'en veux pas pour ça. C'est un peu ma faute aussi.

Une de mes sœurs a cessé de te parler très tôt. L'autre te parle encore aujourd'hui, enfin te parlerait si tu lui répondais.

On en a beaucoup parlé. En grandissant, je me suis tellement éloigné de toi que tu as cessé de me reconnaître, à la gare, quand je venais.

Je me suis teint en brun, récemment. J'ai perdu tant de poids aussi... Et je suis tombé amoureux. Pour la première fois. C'était plus catastrophique que toi.

Je pense que tu ne reconnaitrait plus ma voix non plus.

Tu as toujours été un homme simpliste. Tu n'as jamais compris pourquoi je donnais de l'importance à l'écriture. La musique, tu ne sais même pas que j'en fais. 

Je dirais bien que mes écrits que laissaient indifférents mais tu ne m'as jamais lu. Apparemment j'ai quelque talent. Tu rates chaque jour quelque chose de nouveau. Moi aussi.

Papa... Je dois avouer qu'il m'arrive encore d'avoir peur du noir. Dans ma tête, je vais bien parce que je suis aveuglé par la lumière. Dans le noir, il n'y a rien. Et rien, c'est pire que tout. Parce que je pense, et que me laisser penser c'est dangereux pour moi.

Un jour, peut-être, je viendrai à ton chevet de lire uns de mes poèmes. Tu ne l'entendras pas. Il est toujours trop tard pour écouter.

Si tu lis ça, j'aimerais t'apporter quelque chose.

Une réponse.

Tu vois la sensation qui pique dans ton ventre depuis des années, celle que tu n'arrives pas à comprendre et que même ton médecin n'a pas pu faire partir ?

Je sais ce que c'est. Tu devrais t'y habituer.

On appelle ça de la solitude.

Crois-moi, je m'y connais.

Merci pour tout.

Ton fils.



Berlin(s)Where stories live. Discover now