Idée 2

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La pluie fait toujours ce terrible bruit quand elle s'écrase contre les vitres de la vieille véranda. Cette verrière ratée commence à laisser passer de longs filets d'eau au travers des toits, ce qui amplifie les fissures déjà bien avancées des murs.

Un froid glacial me réveille doucement. Je m'étais endormie sur ma chaise, juste en dessous d'une de ces fameuses fuites. L'odeur forte de ce parfum m'étonne. Je ne pensais pas en avoir mis autant. La vue de mon carnet prenant l'eau me ranime. J'agite dans tous les sens les photos que j'avais posé ci et là, en espérant les sauver.

Cet arbre généalogique est tout ce qui reste d'une dite famille britannique. C'est ce nom, surtout cet espace vide gribouillé, arraché, défiguré qui me ronge jour et nuit. Qui est cette femme que ma grand-mère cherche à tout prix à me cacher ? Les seules lettres visibles se résument à :

"E....b.th R...nC..w, ../../1869"
Peut être 1889. Enfin bref. Un travail de longue haleine pour obtenir seulement une adresse. Elle serait celle de l'unique descendant de cette supposée dame à l'emplacement noir.

Le bâtiment est sale. Vieux, pas entretenu, on oublierait les fenêtres tellement les coulées qui en descendent sont noires. Me sentant observée, je me retourne, et vois ce voisin qui me fixe.
"- Excusez-moi, où sont partis les derniers habitants de cette tour ?"
L'homme reste immobile, figée. Le temps est bien long.
Il cligne des yeux, pour la première fois il me semble, puis s'en va lentement.
Pas la peine d'insister. Si tous les voisins du coin sont comme ça, je comprends que l'immeuble soit vide.

Je décide de rentrer. Le hall est large, haut sous plafond mais très sombre, et surtout pourri. Pas d'escalier. Bon. Le seul moyen de monter est ce vieil ascenseur. Je presse le bouton sans trop le vouloir. Le grincement est long et cinglant, comme le hurlement d'un torturé. Les portes s'ouvrent. Je reste bouche bée devant cette cage. Elle n'a littéralement pas vieilli. Le miroir est immense, travaillé de plusieurs détails impressionnants.

J'avais toujours eu cette sensation. Je n'avais jamais pu l'expliquer. Cette présence, ce parfum amplifié à s'étouffer avec. Les églises ? Je n'ai jamais pu y entrer. Seule dans une pièce ? Je ne connais pas ce sentiment. J'avais beau me retourner, chercher derrière les meubles, tourner dans chaque pièce de la maison, préalablement allumée, mais jamais personne d'autre que moi. Des miroirs j'en ai eu et j'en ai, presque dans chaque pièce. Mais celui-là je ne l'oublierai jamais.

Elle a les cheveux noirs, attachés précieusement, rien qui dépasse. Cette coupe sophistiquée laisse entendre que ses cheveux sont longs. Elle est terriblement classe, vêtue de sombre, affinée par chacun de ses tissus serrés de manière improbable. Ses yeux sont indescriptibles, son regard surtout. Perçante par chaque détail de sa personne, je me retrouve incapable de quitter son regard.
Arrivée au dernier étage, seuls ses yeux bougent pour me montrer une porte. Je quitte ce reflet qui pourrait étrangement être le mien pour me retrouver dans un appartement. Le vieux plancher craque sans que je n'ai à poser le pied dessus. Les trous sont tellement larges entre les planches qu'ils laissent entrevoir l'étage du dessous. Quoique, en regardant de plus prêt... Ce sont des centaines de visages qui me fixent. Arrivée à la fenêtre, je perçois au coin gauche, prêt de la table, celui de ce voisin immobile dont j'ai appris par cœur le regard. Je relève la tête, pleine de panique, pour finalement retrouver le reflet de la belle dame en noir. Elle fixe le trottoir d'en face. Les maisons brûlent en cascade, les unes après les autres, d'un feu sang aux retombées noires. Je vais pour partir quand chacun des visages se mettent à chuchoter, de plus en plus fort, de plus en vite ! Leurs soupires devenus cris me transpercent le torse, les vibrations sont trop intenses.

C'est en courant que j'ai quitté l'antre. Mais pas le choix, il faut reprendre l'ascenseur. Je suis en plein stress depuis que j'ai vu que le toit commence à s'enflammer à son tour. J'entends déjà les hurlements du village. Des enfants semblent être restés coincés ici, se sont retrouvés piégés là. Je lance un grand coup dans la porte, essayant de retirer ces cendres qui me brûlent au visage.

Mes oreilles me font mal tellement le choc est soudain.

Je retrouve chacune des maisons, inexorablement vides, terriblement silencieuses. Pas d'incendie, pas de cris, même pas de vent.
Je me retourne lentement. Je la vois, depuis cette vitre, elle me regarde. Elle a les mains posées sur les épaules de quelqu'un. Je crois que ça me regarde aussi.
Maintenant je le vois,... mais c'est moi !
Je lève la main doucement en leur direction. Il fait exactement le même geste, au même temps. Je ne peux pas improviser, il suit en direct mes mouvements.

Ma course est effrénée.
Je m'écrase sur ma chaise, de retour dans ma vieille véranda.
Je cherche mon carnet que je destine au bûcher.
J'entrouvre une dernière fois cette page.
Le nom est parfaitement écrit :

"Elasabeth RavenCrow", date lisible "17/08/1889" jour du fameux incendie.
L'emplacement noir est maintenant rempli.

Ma photo semble se mélanger à elle, mais c'est bien mes cheveux noirs détachés et mes yeux sombres, entourés de rouge, qui transpercent la photo. Une main noire aux ongles interminables se fond parfaitement au contour sombre de mon corps. Elle est posée juste la, sur mon épaule.

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