Partie 2

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Mais qu'est-ce qui tombe sur mon destin ? Mon pied dégomma l'accélérateur de nouveau et le moteur de la voiture morfla. Décisivement, j'étais bien loin du désastre.

La lâcheté te va comme un gant, me disais-je. Il ne me restait plus qu'à déposer ma voiture dans un entrepôt, en prendre une autre de rechange et l'affaire serait réglée. Qui m'aurait vu de si bonne heure à une vitesse où il est impossible de relever une plaque d'immatriculation et de deviner mon visage, toutes mes vitres étant fumées. Aucune preuve ! Quoique, ils étaient plusieurs à m'avoir entrevu pendant au moins 2 heures en haut de la montagne. Non, inconcevable ! Bien trop saouls pour voir quoi que ce soit ! Dans le pire des cas, je pouvais prétexter un voyage en Europe de quelques semaines pour tasser l'histoire.

Quel âge pouvait-il avoir ? Que faisait-il à cette heure-ci ? Peut -être un pêcheur qui se rendait au port ? Avait-il des enfants à charge ? Ma conscience émergea à la surface. Je transpirai de tout mon être, une sueur acide, une sueur de condamné. Quand, dans ma triste vie, ai-je été un homme ? Constamment à fuir et accepter les règles du jeu de papa. J'étais un pion, un pantin articulé par l'argent. On respectait le nom de mon père mais mon prénom n'avait pas son mot à dire. Ma tête bouillonnait. C'en était trop ! Je donnai un coup de frein sec à la voiture, fis demi-tour et pris la ferme décision de revenir sur les lieux du crime ! Par cet acte, je décrétais de m'affranchir et de prendre mes responsabilités. La peur me noua le ventre.

J'arrivai sur place. Une cohue avait déjà pris les lieux en otage. Des femmes sur le bord de la route pleuraient et s'agrippaient le visage et les hommes curieux s'approchaient pour constater le terrible accident. La victime, elle, était allongée sur le goudron, sans aucun signe extérieur en lien avec la collision, hormis un filet de sang pourpre qui s'écoulait de sa bouche pour s'étendre sur le sol. L'incident bloquait la circulation, les chauffeurs de taxi grinçaient ! Je décidai d'abandonner mon véhicule à 100 mètres de l'impact pour me confondre à la foule. Je guettai le moindre geste de la victime, elle avait l'air dans un profond sommeil, inerte mais sereine. Je sortis une cigarette et me la mis au bec. Je pense que je ne réalisais pas à cet instant la gravité des événements.

Les premiers secours peinèrent à pointer leurs gyrophares. Après 40 minutes, ils vinrent constater les dégâts. Le rouge de l'ambulance créa un engouement sensationnel, la foule se multipliait à l'infini. Les balcons des immeubles étaient bondés ! Un show où l'acteur principal est cloué au sol. Les pompiers se ruèrent vers l'homme et constatèrent son immobilité. L'air renfrogné, ils effectuèrent des massages cardiaques, mais le gars ne semblait pas coopérer. La foule compatissait et scandait l'exhortation religieuse : « C'est à Dieu que nous appartenons et c'est à Lui que nous revenons. » Moi au milieu, j'observais ce tableau tragique dont j'étais le peintre. Comment signaler ma présence ? Me livrer à eux : inconcevable ! Je serais lynché en plein public. Que faire ? Attendre la police ?

Une Kangoo rappliqua gyrophare sur le capot et deux policiers en tenues impeccables sortirent de l'engin suivis d'un inspecteur vêtu d'un costume marron. Aussitôt, la foule recula de quelques pas tandis que l'un des policiers faisait la circulation pour décongestionner le trafic. Tel une toupie, l'inspecteur tourna autour de la victime. Il toucha sa moustache grisonnante et sorti de la poche intérieure de sa veste un calepin. Il gribouilla dessus tout en arrêtant son regard perçant en haut de la montagne. Une civière s'imposa et emporta ce qu'on peut nommer à présent, le cadavre. Moi qui voulais il y a quelques heures perdre la vie, je venais tout juste de l'enlever à un inconnu.


Fils à papaWhere stories live. Discover now