Hope And Farewell

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   Ma très chère sœur,

   Cette lettre n'a même pas encore commencé et pourtant, il me semble déjà entendre tes remontrances, ta voix cristalline devenue rauque sous le coup de l'émotion. Maintes fois, tu m'as répété que nous n'avions rien à craindre. Maintes fois, tu m'as répété que jamais nous ne pourrions souffrir de cette guerre qui ravage la France, l'Allemagne et bien d'autres encore. Mais voilà, je ne peux supporter la vision de ces rafles, l'entente de ces cris, de ces pleurs, de toutes cette souffrance qui selon toi ne nous concerne pas.

« Nous ne sommes pas juive. » me diras-tu.
« Nos cheveux sont blonds, nos yeux du beau bleu océan qu'il aime tant. » me diras-tu.

Mais malgré tout, je ne peux empêcher l'inquiétude de me donner cette étreinte, la paranoïa ce coup si vicieux. Hier matin, une poignée d'officiers est venue emmener les Abahel, nos voisins. Un silence de mort régnait en cette nuit des derniers au revoir, et nul ne pipait mot. En descendant les escaliers, les enfants souriaient, le cœur joyeux et les yeux gonflés de  sommeil. La plus petite, pendue aux bras de sa mère, m'avait adressé un sourire au moment de croiser mon regard : « Nous partons en voyage ! Maman dit que c'est une surprise, Papa que nous ne savons pas quand nous serons de retour ! Tu crois que je serais revenue à temps pour l'école ? ».

Je n'ai pas répondu.

Et même si j'aurais voulu garder espoir, je savais que de ce séjour-là, ils n'en reviendraient pas.

Je ne t'apprends rien, mon métier ne me rapporte guère assez pour rêver de liberté, de soleil et de long voyage. Mais depuis quelques semaines, mes économies augmentent. Les centimes s'amassent, et parfois même quelques billets viennent me redonner espoir. Tu l'auras deviné, je ne compte pas rester en Allemagne.

Cet homme, Hitler, et sa police, son pouvoir, tout m'effraie. Je ne comprends pas ce pays, je ne comprends plus ce pays.

Ses grands discours me sont obscurs, et sa logique l'est plus encore.

Bien sûr, le voyage sera une épreuve, j'en ai parfaitement conscience, ne t'inquiète pas.

On dit qu'aux Etats-Unis, chacun a sa chance. Ils appellent ça : « Le rêve américain ». Si tu savais à quel point cette expression est juste ! J'ai tant rêvé de ce pays, j'ai tant imaginé ce vent de liberté m'effleurait la peau, alors qu'à quelques mètres de moi à peine, le port de New-York se dessinerait dans la brume.

De l'Allemagne je ne regretterai rien, pas même la belle maison que nous avions envisagé d'acheter avec Hans, un peu avant la guerre. Hans. Encore une bonne raison de partir, d'oublier. Voilà sept mois que je suis sans nouvelles. Sept mois, sept mois que les pas du facteur m'écorche le cœur d'espoir, pour bien vite me l'arracher de tristesse. Même tes lettres, pourtant débordantes de projets et d'espoir, ne suffisent plus à me rendre le sourire. Je te sais partisane de ce nouveau régime, et sur ce point je ne peux te comprendre. Les jeunesses hitlériennes me font frissonner, maintenant plus encore qu'il y a quelques semaines, et je désespère de t'y voir endoctriner. Mais laissons de côté cette dispute, cette discussion que nous avons déjà eue. Il ne me reste plus beaucoup de papier, pas plus que d'argent pour en payer l'expédition. Si tu me voyais, ma chère Cathrin, si tu me voyais ! Mes larmes coulent, dégoulinent sur mon visage et le col de mon vêtement, s'écrasent parfois au sol. Mais dans mon cœur, seul subsiste cet espoir infime, cet espoir auquel je me suis raccrochée corps et âme depuis notre dernière rencontre, notre dernier différend.

Après tout, te voilà désormais intégrée à la marche de l'Allemagne.

Tes yeux qui pourtant me voient souffrir restent secs, ton cœur de marbre, de pierre désormais. Est-ce vraiment ce que tu souhaites ? Je crois que oui.

Mais une fois de plus, Cathrin, mes rêves sont tout autres. Je ne suis pas écrivaine, j'en conviens, et encore moins conférencière, mais j'ai bon espoir que mon anglais, aussi rudimentaire qu'il soit, me suffise de l'autre côté de l'Atlantique. J'ai tant à espérer de ce nouveau pays ! Un métier qui enfin me sera plaisant, une maison sans ces affreux courants d'airs de début Décembre, quand le froid s'installe peu à peu, et peut-être même de quoi manger à ma faim tous les jours, sans se priver de ses petits délices qui réchauffent le cœur, ces petits riens qui ébranlent doucement  l'âme d'une gourmande.

Qui sait ? Peut-être même connaitrais-je à nouveau un mariage heureux ? Je l'espère si fort ! Les conditions de vie sont sûrement prodigieuses dans ce nouveau monde, pour que tant et tant d'étrangers quittent leurs terres pour la leur ! Je pars dans quelques jours, j'ai si hâte ! Une carte postale, voilà ma promesse te concernant une fois ce paradis atteint. Une carte postale et l'invitation de me rejoindre, que tu  déclineras probablement. Cette décision peut te sembler irréfléchie, mais Dieu sait combien de nuits sans sommeil j'ai passé en Allemagne, Dieu sait combien l'atmosphère de ce pays me ronge, me tracasse... ! Tu étais ma seule raison de rester, mais à présent me voilà devenue inutile, réduite à t'offrir tous mes vœux de bonheur. Je te souhaite le meilleur, et comme tu aimais le dire lorsque petites, nous jouions aux poètes : « Suis tes rêves, ils connaissent le chemin ! ».

Ta sœur qui t'aime et à qui tu manques déjà,
Eleonore Heiden
 

Beyond the flames - Recueil de nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant