Jour 2 : Irréalités et secondes chances ?

125 5 5
                                    

Rien n'est plus irréel que le passé, rien n'est plus inquiétant, parce que à y creuser nous devenons irréels à nous-mêmes.

-Cordoue des Omeyyades (2000)

            Des murmures m’accueillent lorsque j’ouvre brusquement les yeux. Je ne me relève pas tout de suite, ne fais pas d’autres mouvements, me contentant de regarder, parfaitement immobile, le plafond blanc fissuré qui s’offre à moi. Appréciant ces moments de tranquillité ou je me contente de ne rien faire d’autre à part respirer, où j’ai l’impression d’être au bord du sommeil et du réveil, de la vie et de la mort, de la réalité et la fiction. Ce moment où tout me semble irréel et où j’arrive à oublier mes soucis, mes problèmes, mes souvenirs, mon existence même étant disparue ou tout simplement camouflée dans ce blanc des murs, insignifiante aux yeux des autres.

            Le son d’un pas tranquille se dirigeant vers moi brise cette chaîne de confusion et me ramène à la réalité.

            «Alice, enfin !, s’exclame enfin une voix désagréable. »

            Je soupire, pousse un léger grognement de mécontentement avant de lever les yeux sur une jeune femme aux pâles cheveux blonds. Elle me sourit, l’air heureux ou serein ou, peut-être, exaspéré; je ne saurais réellement définir l’expression qu’aborde son visage fin. Des yeux gris pâles rencontrent les miens, cherchent sur mes traits une réponse à une quelconque question.

            Je me lève, pose mes pieds sur le sol dur, froid et d’une blancheur éclatante, fronce les sourcils en regardant autour de moi, grimaçant lorsque je réalise ou je me trouve,  ouvre la bouche lorsque je cherche dans mes souvenirs ce qu’il a bien pu se passer, qu’est-ce qui a bien pu provoquer ce sommeil, cette panique, ce cœur affolé qui, même à l’instant, ne cesse de battre à un rythme irrégulier. Je ferme les yeux et me concentre, fais abstraction aux bruits parasites qui m’entourent, oubliant la froideur du sol et le courant d’air qui me traverse et me fait frissonner, soupire, me calme, visualise…et là, j’ouvre des yeux paniqués sur la femme qui me regarde d’un air étonné, sens une vague d’excitation ou d’adrénaline, laisse mes lèvres s’entrouvrir pour chercher un oxygène que je ne peux pourtant pas donner à mes poumons, parce qu’à cet instant précis, à ce moment, tout me revient, des noms et des conversations, des sourires et des rires, et les souvenirs reviennent ainsi, plus rapidement, trop rapidement ils tombent et m’accablent l’un après l’autre :

Jack.

M. Jude.

Oublié.

Jack.

            J’ai oublié la mort de Jack.

            Comment est-ce possible ?

            «Alice, ça va ? »

            La voix aigüe de l’infirmière me ramène à la raison, me calme, me fait m’assoir sur mon lit en prenant un air fatigué.

            «Combien de temps ais-je été évanouie ?», je demande d’une voix roque.

            «Environ une demi-heure,» répond-elle en détournant le regard.

            Je soupire. Me lève encore une fois et fais quelques pas hésitants. C’est la troisième fois, cette semaine, que je me retrouve ici, dans cette pièce, dans cette infirmerie dotée d’un lit inconfortable. C’est la troisième fois cette semaine que je revois cette femme et ses yeux métalliques, la troisième fois qu’on me répond la même chose; j’ai dormi une demi-heure. Sans savoir pourquoi, cela m’irrite, le fait que je me réveille chaque fois après une demi-heure, comme si tout ceci est programmé; trente minutes à chaque fois est bien trop parfait pour me sembler réel. À tous les coups s’est un mensonge. Et pourtant, malgré tout, je ne fais rien, me contente tout simplement d’hocher la tête et d’acquiescer.

The Black ButterflyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant