13.10.19

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Matin

Un petit jour chantonnant, ciel en cocktail et vent maternel, me réveille au milieu de mes longs draps de soie blanche. Leur odeur de vieille lavande m'envahit à peine mes yeux clignote-t-il. Je m'étire, enfoui mon visage honteux de son apparence dans le moelleux d'un coussin, grogne de devoir retourner dans ce monde que je ne sais guère apprécier, paraît-il, et me redresse, face à une vie vaine de sens pour mon esprit.
Mes cheveux sont lourds, gras, éméchés et probablement éparpillés comme des pensées fugaces au-dessus de ma tête. Le premier rayon de soleil perce ma fenêtre et s'abat sur une large poutre brune. Teinte orangée, chaleur nouvelle, c'est le tout premier. Je soupire. Les livres sur mon étagère commencent à prendre la poussière. Je ferme les yeux. Les jambes, cachées sous l'accablante couverture, quémandent au reste de mon corps de les laisser, encore quelques instants, profiter de cette chaleur lénifiante. Un frisson me transperce la poitrine, le vent s'engouffre dans mon cou, sous mon t-shirt, sous mes bras qui vont tout de suite rejoindre mes bas. Il fait froid. Je soupire. J'hôte la couette de mon corps et m'en extirpe, les épaules remontées jusqu'aux joues, les bras tendus contre mon buste trop fin. J'enfile ma robe de chambre, la noue, coiffe mes cheveux d'une main robotique et dévale mes vieux escaliers en titubant, par moment. Ils craquent, ils gémissent sous mes pas. Premier rayon de soleil se métamorphose en une douche éclatante de lumière. Mes yeux se chiffonnent et je les essuie de cet éclairage féroce en me dirigeant vers ma cuisine.
Personne. Un calme sinistre et fébrile habite ma demeure. Je l'ignore, ouvre la boîte de café, en hume le nectar et en verse deux généreuses cuillères dans la cafetière étincelante. Gaz allumé, je m'assois en attendant de pouvoir me délecter de ce brûlant arôme bernant tous mes sens. Un frisson étrangle mon bas-ventre. Il y a sept ans. Déjà si longtemps ?
Je me souviens du creux de son cou dont l'odeur me rendait folle, je me souviens de ses caresses sur mon oreille, sur mes cheveux, qui me faisaient voyager dans des contrées inconnues de ce monde, je me souviens de ses murmures enivrants, je me souviens de l'amour de ses yeux, je me souviens de nos savoureuses étreintes, interminables et heureusement, je me souviens de ses récits, de ses rêves, de ses idées inaccomplies à cause de moi, en grande partie, mais elle ne le disait jamais. Je me souviens du tranchant de mes mots, de la froideur de mes gestes, de la bêtise de mon comportement à son égard, elle qui m'aimait comme personne ne pourra plus jamais m'aimer. Je me souviens d'elle, je me souviens de moi, bercée contre son sein, à l'écoute de son cœur, jusqu'au dernier soupir, jusqu'au dernier murmure, jusqu'à la dernière caresse, jusqu'au dernier battement. Je me souviens du pas imparfait du temps, de l'Heure qui se rapprochait d'elle pour me voler l'amour de ses bras, pour l'enlacer comme je le faisais toujours, pour me l'enlever, pour l'abuser et me laisser, seule dans le froid d'un désert émotionnel. 
Je me souviens d'elle, mon premier amour, mon premier sourire, mes premières larmes. Jusqu'à la dernière caresse, celle d'une mère rattrapée par l'Heure à la canne, celle d'une mère fébrile sentant son cœur faiblir et sa fille fléchir. Celle d'une mère, dont le regard flouté de larmes disait : "au revoir, désolée, ne sois pas triste, j'aurais pu mieux faire, je suis fière de toi, ne m'en veux pas trop, tu es magnifique, mon ange, ma belle, ma princesse, mon amazone, je t'aime". Celle d'une mère, dont un regard résumait une vie, dont une caresse résumait une fièvre inconditionnelle, dont un murmure, dont un battement, résumait la fin d'un temps.
La cafetière gronde, j'éteins le gaz et une larme puis verse ma drogue solitaire dans une bien triste tasse.

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