Partie 1

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 Ecrit dans le cadre des Joutes Wattpadiennes D'EidolonGarde-mots en collaboration avec Eryndel et chaselilas

Mots obligatoire : robe, escargot, feu d'artifice.

« Bon anniversaire, Sacha ! »

Une explosion d'acclamations et d'applaudissements suivit. Étourdie par ce joyeux vacarme, je clignai des yeux sous le coup de l'émotion. Mes amis avaient vraiment vu les choses en grand !

C'était la plus belle journée de toute ma vie. Enfin, presque : il pleuvait sans discontinuer, il faudrait sans doute annuler le feu d'artifice prévu pour la soirée. Dehors, les fanions qui couraient d'arbre en arbre pendaient lamentablement en lâchant autant d'eau que des serpillières détrempées et il fallait une sacrée imagination pour reconnaître les lanternes de papier posées au sol, réduites à des aires de jeu pour escargots. Des escargots qui, d'ailleurs, s'en donnaient à cœur joie : il y en avait jusque sur l'appui extérieur des fenêtres. Curieux. Je n'en avais jamais vu autant.

Reprenons donc : c'était la plus belles journée que j'aie jamais vécu, si l'on faisait abstraction de la météo typique de la Bretagne. Parce que oui, j'avais eu cette lubie de fêter ce jour spécial dans cette région riche en légendes celtiques. Quel dommage que la pluie l'aime autant que moi, cette terre des fées et des korrigans !

Ah, et il y avait le manque de place, aussi. Parce que la quinzaine d'amis et de collègues invités paraissaient deux fois plus nombreux dans mon salon étriqué – et deux fois plus bruyants qu'à l'extérieur. Mes fauteuils et mon canapé en cuir usé débordaient d'invités. Tout était bon pour s'assoir, y compris les accoudoirs ou même la petite table qui trônait vide au milieu de la pièce. Mes chaises de salon ne suffisant pas, celles de cuisine et de jardin se bousculaient dans ce petit espace. Il commençait à faire de plus en plus chaud, j'étouffais. Même une sardine claustrophobe devait se sentir plus à l'aise dans sa boîte que notre joyeuse assemblée. Et encore, mes frères et mes parents n'étaient pas encore arrivés. Je préférais ne pas me demander comment ils allaient pouvoir s'immiscer dans le salon...

Mais il était hors de question que je me laisse démoraliser par les imprévus et par mon dégoût des foules.

Bref, si je veux être exacte, c'était une des plus belles journées que j'aie jamais vécu, pluie ou pas, sensation d'être une sardine en boîte ou non. Ce qui n'est pas rien, étant donné qu'il n'y a pas plus de deux ans que je me sens bien dans ma peau. Après vingt-cinq années de galère, d'interrogations constantes et de difficultés à m'assumer, ce n'est pas rien, deux ans de bonheur !

Et puis, il y avait ma robe : la robe dont j'avais toujours rêvé, une robe de satin bleu-gris qui épousait mon corps à la perfection, comme je pouvais m'en assurer quand je passais devant le miroir au cadre de chêne qui se trouvait près de la porte de la cuisine. Sa couleur était assortie à celle de mes yeux, convenait parfaitement à mon teint et s'harmonisait avec mes boucles d'un blond cendré. Une discrète chaîne d'or ornée d'un pendentif tout simple venait compléter ma mise.

En rencontrant le regard de mon reflet une fois de plus, je me pris à m'imaginer en princesse de conte de fées : avec des nœuds et des dentelles sur ma robe, des diamants autour du cou, dans une salle de bal baroque dont les splendeurs seraient réfléchies à l'infini par des murs couverts de miroirs. Je clignai des yeux et le mirage s'évanouit.

Sans regret, je détournai la tête : aussi romantique que je sois, cela ne m'aurait pas convenu. Je préférais les murs de bois sombre, leur subtile odeur de cire, le mobilier pittoresque, les plaids en laine de mon salon. L'atmosphère douillette qui s'en dégageait, renforcée par les bougies parfumées disséminées sur la moindre surface libre, voilà ce que j'aimais ; ça et les rideaux brodés, le poêle en fonte où brûlait un bon feu et les voix joyeuses de mes amis.

Je laissai éclater un rire argentin, ravie. Tout ceci avait l'air tellement irréel ! Et pourtant, les sons, les odeurs, les couleurs, le verre lisse dans ma main soigneusement manucurée, le goût rafraîchissant du cidre sur mes papilles démentaient sans cesse cette impression qui ne souhaitait pas me quitter...

Le timbre de la sonnette me parvint de justesse. Dans tout ce brouhaha, j'avais failli ne pas l'entendre. Ma famille devait être arrivée ! Je me précipitai vers la porte d'entrée. Ou plutôt, je me frayai péniblement un chemin jusqu'à elle en répétant des « Pardon ! Excusez-moi... Merci ! » plus souvent qu'à mon tour. Enfin, j'atteignis ma destination et pus ouvrir. C'étaient bien eux, rayonnants, toute trace de jugement évanouie à jamais de leurs yeux autrefois accusateurs.

– Eh bien alors, tu nous laisses sous la pluie ? lança malicieusement mon père.

– Désolée, Papa. Venir du fond du salon jusqu'à la porte d'entrée, aujourd'hui, c'est pire que de traverser les ronces qui entourent le château de la Belle au Bois Dormant !

Il se mit à rire. Ma mère, plus réservée, haussa subtilement les sourcils tandis que mes frère pouffaient dans son dos.

– Toujours aussi romantique, hein ? observa-t-elle. Tu es incorrigible.

Après les embrassades, mon plus jeune frère me tendit une boîte à gâteau. Je l'ouvris.

– Oh, une forêt noire ! Rien que ça ! Merci, Gaël, tous mes vœux sont comblés, maintenant. Mais... pourquoi est-elle décorée d'un escargot ?

Il haussa les épaules.

– Je ne sais pas... Mais ça m'a paru approprié, vu que tu as choisi de fêter ton anniversaire au royaume de la pluie, plaisanta-t-il.

– Ben voyons... Tu l'as fait exprès, avoue !

– Mais non, Sacha ! Se défendit-il en ouvrant de grands yeux innocents.

Trop innocents pour être sincères, à la vérité. Mais ce n'était pas grave. C'était mon préféré. Celui qui ne m'avait jamais jugé, même quand j'étais au plus mal. Qui m'avait même soutenue, quand tant d'autres avaient fui. Affectant d'être fâchée, je le menaçai des pires sévices s'il ne me disait pas la vérité. Il finit par avouer en riant : oui, il l'avait fait exprès.

Mais, tandis que ma mère emportait le gâteau dans la cuisine et que le reste de ma famille se mêlait difficilement aux invités, il me prit la main et dit, plantant ses yeux dans les miens, tout son sérieux retrouvé :

– Grande sœur... Je suis content pour toi, tu sais ! Tu es... rayonnante. Ça me fait vraiment plaisir.

Il avait cet air sérieux et tellement touchant qui me frappa au cœur. Puis, me tendant un petit paquet soigneusement emballé, il ajouta :

– Bon anniversaire, Sacha !

Dans ma coquilleWhere stories live. Discover now