Partie 3

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Je me déplaçai précautionneusement dans le salon, perturbée par le changement de décor incessant. Étais-je en train de rêver ? D'halluciner ? Étais-je dans le logement container ou dans la jolie maison bretonne ? Ou ailleurs encore, peut-être ? Qui sait ?

Consciente des regards soucieux fixés sur moi, je feignis d'ajuster mes pantoufles de satin, délicatement brodées de petits... escargots ? Étrange. Je ne me rappelais pas une telle chose. Qui plus est, une douleur sourde continuait à me marteler les tempes. Malgré tout, je me composai une expression joyeuse pour n'inquiéter personne.

M'efforçant de ne pas cligner des yeux, je me dirigeai vers la fenêtre. En s'appuyant contre le mur, ma main rencontra une matière froide au toucher, voire glaciale, métallique. Je la retirai aussitôt, par réflexe. Pourtant, le mur était bien de pierre et de bois... Préoccupée, je regardai sans les voir les fleurs aux corolles alourdies par la pluie. La réalité, ce serait donc le container ?

Je fis un nouvel essai en m'appuyant sur le dossier du fauteuil le plus proche. La douceur fraîche du cuir correspondait bien à ce que je voyais, cette fois.

Bizarre, bizarre...

– Sacha ? Ça va mieux ?

Mon frère Gaël, évidemment. Son expression anxieuse m'agaça malgré moi. N'avait-il rien de mieux à faire que de me couver comme si j'étais une fragile orchidée ?

– À ton avis ? Je ne suis plus étalée par terre, il me semble ! rétorquai-je sèchement.

Il rougit, pâlit, bredouilla, et je m'en voulus de ma réaction exagérée. Que m'arrivait-il donc ? Ce n'était pas mon genre, de m'énerver après mon frère préféré, alors qu'il était le seul à accepter sans concession mes différences avec la plupart des gens.

– Je... Pardon. Désolée, ce doit être le contrecoup de mon malaise. Je ne voulais pas te blesser !

Il ne répondit pas, mais parut encore plus malheureux. Évidemment ! Mon excuse sous-entendait que je n'étais pas totalement remise ! Quelle idiote je faisais...

Un ange passa. Littéralement. Hébétée, je me frottai les yeux et le container remplaça le salon breton. En fait, non. Ce n'était pas un ange mais un énorme escargot, qui rampait lentement en laissant une traînée brillante et visqueuse derrière lui.

Gaël choisit ce moment-là pour retrouver sa langue.

– Sacha ? Tu fais une drôle de tête. Tu es sûre que ça va mieux ?

Quand il insistait comme ça, il pouvait être aussi agaçant qu'une abeille qui te tourne autour quand tu as mangé de la confiture. Vraiment. Et en même temps... Cet escargot qui traversait les groupes d'invités sans susciter de réaction ne prouvait-il pas que j'allais mal ?

Alors, je pris mon courage à deux mains et demandai :

– Est-ce que tu as vu l'escargot ?

– Le gâteau ? Il était beau, hein ? Fit-il en se rengorgeant. C'est moi qui ai eu l'idée ! Il...

– Non, pas le gâteau ! L'escargot, là-bas ! Il est en train de ramper vers les assiettes d'aubergine ! criai-je, hystérique, en me levant d'un bond.

– Je ne vois rien de tel ! protesta-t-il. Et puis, il n'y a pas d'aubergines non plus ! Ce serait une drôle d'idée, de servir des aubergines pour un repas d'anniversaire !

Aïe. Ça se gâtait vraiment... La fête de rêve semblait virer au cauchemar.

Un nouveau vertige me prit, accompagné cette fois de l'impression nauséeuse que mon estomac allait régurgiter tout ce que j'avais eu l'audace d'avaler. Je ne savais plus si c'était dû à un quelconque virus essayant de briser mes défenses internes, ou alors au dégoût que j'éprouvais à la vue de la bave répugnante de la créature, ce liquide écœurant qui endommageait mes tapis. A moins que ce fut quelque chose de plus profond encore, de plus... Hideux.

Me sentant faible, je m'appuyai au dernier moment sur le dossier de mon fauteuil. La sensation froide et mordante de ma main sur du métal fut comme un électrochoc. Je me redressai avec un cri avant de jeter un regard apeuré autour de moi. Mes nerfs allaient se briser, je n'en pouvais plus... Ce n'était pas... Pas normal, ce qui se passait.

J'eus le temps de voir mon frère se précipiter vers moi et le regard alarmé de ma mère avant de m'effondrer au sol.

Ploc. Ploc. Ploc. Le son las et répétitif de la goutte d'eau s'écrasant au sol berçait mon réveil, accompagné d'un horrible mal de tête. J'entr'ouvris les yeux, mortifiée. Devant moi... Le container. Le mur métallique du container. Toujours là, cauchemars vicieux et insaisissable. Je clignai des yeux. Une fois. Deux fois. La vision ne s'effaçait pas. Elle était là, tenace, irréelle.

Je levai ma main et l'observai. Rien ne m'avait jamais paru si vrai. Rien ne m'avait paru si laid que cet appendice large, aux doigts trop épais, attaché à un poignet velu. Tournant la tête, un peu sonnée, je m'aperçus dans le miroir où je m'étais admirée un peu plus tôt, devenu une glace piquée et rayée où je distinguais à peine mes traits. Mais j'en voyais bien assez, hélas : Sacha, l'héroïne du jour, si gracieuse dans sa jolie robe, avait fait place à Sacha, jeune femme désespéré emprisonnée dans un corps masculin lourdingue et répugnant dissimulé sous un vêtement informe et gris. La maison bretonne pittoresque s'était effacée devant la dure réalité de notre monde dévasté, où nous étions tous réduits à vivre tassés dans des containers rouillés comme des sardines dans leur boîte.

La réalité me rattrapa alors : on m'avait fait cadeau, pour un jour, d'un module de réalité virtuelle qui m'avait permis de me voir telle que je rêvais d'être, dans un cadre en accord avec mes goûts. Mais hélas, un bug avait réduit à néant les délices de ce merveilleux moment.

Les regards compatissants de ma famille et de mes amis me parurent soudain insupportables. Je me détournai d'eux pour aller me recroqueviller dans un coin, nauséeuse à l'excès.

Bon anniversaire, Sacha, me dis-je avec amertume.

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⏰ Last updated: Jan 26, 2020 ⏰

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Dans ma coquilleWhere stories live. Discover now